Chapitre 1 : Une étude longitudinale des connaissances alphabétiques

Les jeunes enfants apprennent à réciter l’alphabet, à dénommer les lettres et à identifier le "son" qu’elles produisent. Ils développent ainsi des connaissances de nature variée sur les lettres qui semblent pouvoir être acquises indépendamment de tout enseignement spécifique.

Le premier de nos objectifs est de dresser un tableau des connaissances alphabétiques tant visuelles que phonologiques et d’en suivre leur évolution en examinant à trois reprises ce que les enfants connaissent de la comptine alphabétique, du nom et de la valeur phonémique des lettres. Nous étudions le développement de ces connaissances auprès d’une population suivie de la GS de maternelle au CP. Nous examinons le lien entre la connaissance de la comptine alphabétique et le développement des connaissances du nom et de la valeur phonémique des lettres puis les relations entretenues par ces dernières. Bien que toutes deux impliquées dans l’apprentissage du code alphabétique, ces connaissances recouvrent à la fois des habiletés de même type et suivent néanmoins des chemins développementaux différents. De nature proche (de forts coefficients de corrélation, .80, sont observés auprès de jeunes anglophones scolarisés en GS, McBride-Chang 1999), elles impliquent cependant une charge cognitive différente dans la réalisation des tâches les mesurant comme dans leur apprentissage. Une autre différence tient dans le fait que la valeur phonémique s’apprend généralement avec l’enseignement formel alors que la connaissance du nom des lettres s’acquiert beaucoup plus tôt, issue de l’expérience de situations éducatives diverses, qui laisse supposer ainsi une acquisition plus précoce tant en maternelle qu’en première année d’élémentaire.

Le second objectif est de recenser les facteurs visuels et psycholinguistiques susceptibles d’influencer le développement des connaissances alphabétiques. Les études anglophones mettent en relief le phénomène de facilitation lié à la présence et à la position du phonème dans le nom de la lettre dans l’apprentissage des correspondances lettre-son. Un tel phénomène est susceptible de se produire en français (Ecalle, 2004), langue alphabétique suffisamment proche de l’anglais où les syllabes que constituent la plupart des noms des lettres se distinguent aussi selon la position du "son" dans ce nom. Toutes les lettres comportent dans leur nom (sauf h), la valeur phonémique qui leur est conventionnellement attribuée. Les consonnes l’incluent en position initiale (b→/be/) ou en position finale (m→/εm/). Pour les voyelles, nom et valeur phonémique sont confondus sauf pour y (/igRek/→/i/, /j/). Récemment, Ecalle (2004), Ecalle, Magnan, & Biot-Chevrier (in press) observent des scores significativement supérieurs pour les voyelles dans les mesures des connaissances relatives au nom et à la valeur phonémique des lettres auprès d’enfants de GS et de CP. Aussi, écartons-nous les voyelles dans l’étude de cette variable pour ne considérer que les consonnes lesquelles sont réparties en deux catégories selon que le nom de la lettre intègre la valeur phonémique en attaque (/b/ est l’attaque de la syllabe C+V dans /be/) ou en rime (/m/ est la rime de la syllabe V+C dans /εm/). Au regard de la discordance relevée d’une part entre les résultats issus de la plupart des recherches anglophones et des travaux d’Ecalle (2004) et d’autre part les données enregistrées par Foulin et Pacton (2006), Ecalle et al., (2006), Share (2004) relatifs à l’effet de la structure phonologique des consonnes sur la connaissance de leur valeur phonémique, les données de notre étude sont susceptibles d’éclairer ce point.

Par ailleurs, les lettres de l’alphabet sont à la fois des objets phonologiques et des objets visuels. Ce dernier aspect suggère de considérer les répertoires d’écriture auxquels les enfants se trouvent confrontés. Dans un premier temps, ce sont les capitales d’imprimerie qui habillent l’environnement écrit du jeune enfant (couverture de livres, affiches…). C’est dans ce répertoire, qu’il apprend à l’école, à reconnaître son prénom apposé sur ses effets personnels ou scolaires, vêtements, casiers, cahiers…, il en apprend l’écriture, en perfectionne la graphie. Plus tard, il s’essaie à l’écriture cursive et se familiarise progressivement au répertoire script, l’écriture des livres. L’enfant fait donc l’expérience de plusieurs configurations visuelles et devra apprendre à reconnaître comme étant la même lettre, une série de formes portant la même dénomination malgré des différences graphiques souvent très prononcées. Dans ce travail, nous ne considérons que les répertoires capitales d’imprimerie et écriture scripte. D’une part, la connaissance des lettres en écriture cursive a déjà fait l’objet d’une récente recherche (Ecalle, 2004) et d’autre part, l’introduction de trois répertoires aurait considérablement alourdi l’effort cognitif exigé de l’enfant. L’étude de l’impact de l’exposition à l’écrit familiale sur le développement des connaissances alphabétiques guide également notre choix, l’écriture scripte constituant le répertoire privilégié des livres.

Les lettres présentent des similitudes graphiques plus ou moins prononcées qui devraient influencer leur apprentissage. Aussi, distinguons nous deux types de lettres selon leur configuration proche ou éloignée. Nous considérons également les lettres selon leur fréquence graphonémique (d’après la table des fréquences des graphonèmes de Véronis, 1986) laquelle pourrait déterminer le niveau de connaissances du nom et de la valeur phonémique des lettres et cela d’autant plus que la rencontre avec l’écrit est soutenue.

Afin de compléter l’étude des connaissances alphabétiques, le classement des lettres en fonction de leur taux de réussite enregistré aux trois sessions et dans les deux répertoires ouvre sur une description globale des connaissances de l’ensemble des lettres de l’alphabet.

A l’aide d’analyses de variance, nous étudierons l’impact des facteurs intrinsèques aux lettres sur les connaissances alphabétiques après en avoir examiné l’évolution. Les analyses de régression permettront d’observer le poids de la connaissance du nom et de la connaissance de la valeur phonémique des lettres sur leur développement respectif.