Chapitre 5 : Connaissance précoce du nom des lettres et traitement des relations oral-écrit

L’analyse des résultats obtenus dans le cadre de l’étude longitudinale précédente nous a permis de dégager l’influence de la connaissance du nom des lettres sur la réussite en lecture et en écriture. Cette seconde étude se donne pour objectif d’examiner le rôle de la connaissance du nom de la lettre dans le traitement des relations oral-écrit auprès de plus jeunes enfants, scolarisés en moyenne section de maternelle. Nous nous proposons d’observer les mécanismes par lesquels la connaissance précoce du nom des lettres influence l’apprentissage de la langue écrite à travers les stratégies mises en œuvre dans la réalisation d’épreuves de production et d’identification de pseudo-mots écrits.

Il s’agit d’une part de montrer que la connaissance du nom de la lettre favorise le stockage d’unités phonologiques que l’enfant peut mobiliser pour établir des associations oral-écrit lui permettant d’écrire et d’identifier des pseudo-mots comportant la syllabe que constitue le nom de la lettre. Ainsi que le suggèrent certaines études expérimentales en langue anglaise (Treiman & Rodriguez, 1999 ; Treiman, Sotak, & Bowman, 2001) de jeunes enfants qui connaissent le nom des lettres exploitent l’information phonologique portée par les mots dont la prononciation comporte le nom des lettres pour les identifier à l’écrit, plutôt qu’ils n’utilisent des indices visuo-graphiques pourtant prégnants. Le nom des lettres semble constituer également une ressource à laquelle se réfèrent les prélecteurs ou lecteurs débutants pour orthographier des mots dont la forme orale comporte le nom des lettres (Treiman, 1993).

D’autre part, la connaissance du nom d’une lettre semble faciliter l’accès à la connaissance implicite de sa valeur phonémique (Ecalle, 2004 ; Evans, Bell, Shaw, Moretti, & Page, 2006 ; Share, 2004 ; Treiman, Broderick, Tincoff, & Rodriguez, 1998). Une recherche récente menée auprès d’enfants scolarisés en moyenne et grande section de maternelle (Foulin & Pacton, 2006) révèle la présence d’une relation entre connaissance du nom des lettres et apprentissage du "son" des lettres dans des tâches de lecture de pseudo-mots ; conclusions conformes aux travaux en langue portugaise (Cardoso-Martins, Resende, & Rodrigues, 2002).

Nous nous proposons de montrer que, grâce à cette connaissance initiale, les jeunes enfants sont capables d’extraire le phonème correspondant d’un mot prononcé pour établir ainsi des correspondances lettre-son indépendamment de tout enseignement spécifique. Cette capacité à connecter l’oral et l’écrit à un niveau sub-lexical devrait leur permettre de lire le pseudo-mot et d’écrire l’unité attendue.

L’acquisition de cette connaissance implicite ainsi que plus globalement la réussite aux épreuves proposées sous-tendent en corollaire l’intervention de compétences phonologiques. Les conclusions issues des recherches sur ce thème précédemment citées autorisent à penser que ces compétences favorisent la mobilisation de cette première base de connaissances que constitue la connaissance du nom des lettres : le nom des lettres est une structure phonologique dont la manipulation nécessite la présence d’une sensibilité phonologique. A son tour, cette connaissance du nom des lettres participe à la compréhension que les mots parlés sont composés de segments élémentaires non signifiants que l’on peut manipuler. Outre son rôle dans l’acquisition de la valeur phonémique des lettres, la connaissance du nom des lettres pourrait ainsi participer au développement de la conscience phonémique.

Nous examinons les liens entre la connaissance du nom des lettres et le niveau d’habiletés phonologiques de jeunes enfants répartis en deux groupes, Connaisseurs vs non Connaisseurs du nom des lettres ainsi que leurs relations respectives avec les performances en lecture et écriture.