Magie

Un autre élément qu’il nous faut aborder avant de nous engager dans l’étude du mouvement New Age, est la distinction entre religion et magie. D’après E. Durkheim, l’unique élément de distinction entre la magie et la religion réside dans l’aspect collectif, absent de la première et essentiel dans la deuxième. Il définit la magie comme un acte isolé, qui n’implique pas de liens entre les croyants ni entre les praticiens. Par contre, la religion implique la notion d’Eglise, définie comme suit :

‘Une société dont les membres sont unis parce qu’ils se représentent de la même manière le monde sacré et ses rapports avec le monde profane, et parce qu’ils traduisent cette représentation commune dans des pratiques identiques, c’est ce qu’on appelle une Eglise. 38

Si l’on applique cette définition, il semblerait que les mouvements néo celtiques « Wicca* » et « Witchcraft » (dont la traduction littérale est pourtant « Sorcellerie ») n’appartiennent pas au domaine de la magie, puisqu’ils s’organisent de manière collective, autour de ce que l’on peut qualifier d’Eglise non-hiérarchisée.

Cependant, d’autres définitions de la magie ont été développées, qui partagent avec la définition « durkheimienne », la vision que la magie est une version tronquée de la religion. Pour R. Stark, par exemple, la magie offre un éventail de compensateurs plus réduits, d’ordre essentiellement matériels – économiques, relationnels, ou psychologiques :

‘Cults limited to providing magical services are client cults. They offer specific compensators but do not provide the very general compensators that mark true religion. Often competing directly with medical and psychiatric services, client cults frequently offer cures for specific physical and emotional problems. Others promise to improve an individual’s economic situation or social competence, but they do not offer complete answers to the existential problems of human life. 39

Pour P. Williams, par contre, la magie intervient lorsque la religion échoue à proposer un système de compréhension du monde cohérent :

‘What most people cannot tolerate for extended periods is the lack of a satisfying framework through which they can make sense of what they perceive to be inequity or other misfortunes. Much can be endured if it can be interpreted and experienced as part of a larger whole, in which all is fundamentally well despite occasional, or even frequent, breaches of order and justice. What renders even minor ill fortune intolerable is the lack of such a cognitive framework, where no order is apparent, and existence is reduced to a series of random acts of meaningless violence.’ ‘One symbolic modality for dealing with incongruity and misfortune in the face of the breakdown or absence of more comprehensive and abstract systems of explanation is the belief in witchcraft. 40

Si les mouvements religieux procurent un nouveau système explicatif du monde et de ses injustices, les mouvements magiques offrent des solutions individuelles qui permettent à chacun de faire face à l’adversité, sans pour autant l’expliciter ou la justifier au niveau social. Le New Age propose une (voire plusieurs) explication(s) du monde (ce que les sociologues nomment « Weltanschauung », vision du monde), il s’approche donc plus en cela d’un mouvement religieux que d’un mouvement magique.

Notes
38.

E. Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, p. 103.

39.

R. Stark, The Future of Religion: Secularization, Revival and Cult Formation, 1985, p. 209.

40.

P. Williams, Popular Religion In America, 1989, pp. 150-151.