La prédestination : éloignement entre l’homme et le divin

Il existe de nombreux thèmes communs entre le Puritanisme et le New Age. Un certain nombre d’éléments fondamentaux de la pensée puritaine se retrouvent aujourd’hui dans les mouvements religieux alternatifs – parfois dans une descendance ininterrompue, et parfois après avoir quasiment disparu de la scène pendant des décennies. Le protestantisme calviniste strict présent en Nouvelle-Angleterre, comporte quatre notions que l’on retrouve très semblables dans le New Age : la relation personnelle – voire individuelle – avec le divin ; l’éthique et la valorisation du travail ; un certain élitisme – du fait de la doctrine de prédestination ; ainsi qu’une tension entre « raison » et « sentiments », entre une religion intellectualisée et rationnelle, et des expressions cathartiques d’un sentiment religieux où priment l’émotion et l’intuition.

La Réforme a eu pour effet de souligner la grandeur et l’inaccessibilité du divin. Les efforts et prières des hommes auprès de la transcendance deviennent désespérés, et ce d’autant plus qu’avec la Réforme, les intermédiaires que sont les rituels compliqués, les grâces vendues par le clergé, la hiérarchie de l’Eglise et de ses saints, disparaissent. De cette impuissance absolue de l’homme face au divin, naît la doctrine de la prédestination. Il s’agit d’une rupture radicale avec le Catholicisme, qui, de par sa dimension irréversible, marque profondément les esprits. Il ne reste plus à l’individu qu’à se préparer à recevoir l’appel de Dieu (« God’s effectual call »), signe qu’il est élu, à espérer et à émettre des conjectures sur qui est en état de grâce et qui ne l’est pas.

Le protestantisme, et plus particulièrement sa version calviniste, a pu défendre cette abolition, en quelque sorte, de la position privilégiée du clergé dans l’intercession auprès du divin parce qu’en contrepartie elle insistait sur la responsabilité individuelle – le sacerdoce universel implique que chaque croyant se comporte comme un prêtre.

‘ Cette abolition absolue du salut par l’Église et les sacrements (que le luthéranisme n’avait pas développée jusqu’en ses ultimes conséquences) constituait la différence radicale, décisive, avec le catholicisme.’ ‘Ainsi, dans l’histoire des religions, trouvait son point final ce vaste processus de « désenchantement » du monde […] qui avait débuté avec les prophéties du judaïsme ancien et qui, de concert avec la pensée scientifique grecque, rejetait les moyens magiques d’atteindre au salut comme autant de superstitions et de sacrilèges. 56

Le processus historique d’« isolement » du croyant, à l’œuvre dans la Réforme, se retrouve dans le New Age. Ce continuum voit une relation de plus en plus « immédiate » s’instaurer entre l’individu et la divinité, et la disparition des intermédiaires entre l’homme et le divin. En conséquence, on assiste à une croissance exponentielle de l’individualisme et de la solitude, qui se manifeste par une redéfinition des limites de la responsabilité individuelle (cf. infra, chapitre VI. A. 3.). Cependant, dans le New Age, l’insistance sur la dichotomie perdition/salut a disparu, et le pessimisme et l’angoisse des colons puritains cède la place à un optimisme motivé par la bénévolence du cosmos et du transcendant.

Notes
56.

M. Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, p. 117.