Aujourd’hui, les historiens de l’ère coloniale n’hésitent pas à corriger le mythe d’une Amérique coloniale égalitaire, libertaire et prônant la liberté de confession. Malgré le succès de cette description idéaliste auprès du public, la réalité est autre : si les premiers Américains fuyaient souvent quelque forme de persécution religieuse, leurs théologies impliquaient que la rédemption passait nécessairement par l’appartenance à l’Eglise véritable (et unique), et que ceux qui en étaient exclus étaient également exclus du pouvoir politique. La position des colons puritains en particulier vis-à-vis des autres Églises et de la notion d’« hérésie » était très stricte. S. Ahlstrom relève la décision prise à l’issue du Synode de Cambridge (1646-1648) :
‘Opposing the principle of toleration, [the Cambridge Platform] committed the churches to the doctrinal position of the Westminster Assembly. The delegates also declared that uniformity was to be maintained by the powers of the magistrates, “the nursing fathers” of the church; heresy, disobedience, and schism were “to be restrayned, & punished by civil authority.” 58 ’Cependant, au cours du XVIIIème siècle la liberté de religion gagna du terrain dans l’ensemble des colonies, sinon dans les textes, du moins dans les faits. La révolution de 1776 accentua cette tendance et l’écriture de la Constitution établit la séparation de l’Église et de l’État, et garantit une mesure de liberté religieuse :
‘Yet these libertarian trends accelerated during the revolutionary era, with the Virginia Declaration of Rights and the Declaration of Independence setting the pace. In every commonwealth a new spirit of liberty was evident – even Rhode Island’s famous freedom was extended […]. Toleration was granted at least to all Protestants in every colony. Closely but not strictly coordinate with these new extensions of religious freedom was the disestablishment of churches. Most fundamental to this process was the federal Constitution itself, which in Article Six prohibited religious tests “as a qualification to any office or public trust under the United States,” and the First Amendment, which stated that “Congress shall make no law respecting an establishment of religion or prohibiting the free exercise thereof.” 59 ’La révolution de 1776 marque les premiers balbutiements du sentiment national, du patriotisme, et d’une identité américaine. C’est à cette époque que commence à se développer le sentiment d’américanité, grâce aux efforts des Pères Fondateurs, comme le décrit E. Marienstras :
‘Le mythe qui survit aujourd’hui est né, dès la fondation des Etats-Unis, du corps de doctrine qu’ont voulu élaborer les dirigeants de la nouvelle nation à l’usage de leurs contemporains et de la postérité. Ils ont cherché avant tout à démontrer la légitimité de la création américaine au regard de l’histoire : l’élection divine et le rationalisme des institutions parachèvent une société dont les conditions de développement et les structures sont présentées comme exemplaires. La nation américaine n’est pas seulement déterminée par la Providence, elle mérite d’exister et est appelée à un avenir grandiose. 60 ’Cette période prendra d’ailleurs une importance disproportionnée par la suite, nombre d’éléments historiques seront déformés, devenant des « mythes fondateurs » à part entière. C’est le point de départ d’une construction identitaire qui s’appuie sur la représentation du passé historique, et sur la mémoire. Les événements sont réinterprétés, le rôle de certains hommes historiques comme Washington, Franklin, ou Lincoln, est idéalisé, parfois au prix d’entorses à la réalité historique.
Chaque conflit, à savoir la révolution de 1776, la Guerre Civile, la Première et Deuxième Guerre Mondiale, la Guerre du Vietnam, la Guerre Froide dans son ensemble, puis la Guerre du Golfe, sera l’occasion d’une redéfinition et d’un renforcement de ce que les historiens appellent aujourd’hui la « Religion Civile ».
La religion civile s’organise autour de mythes patriotiques (la Destinée Manifeste, le « Melting Pot », les « Pères Fondateurs », etc.), et d’un certain nombre d’actions comparables à des rituels (chanter l’hymne national la main sur le cœur, des expressions comme « God Bless America », réciter le serment d’allégeance, etc. ).
La lecture contemporaine New Age de ces événements fait la part belle à l’idéologie, à l’idéalisme et à l’utopie. Certains auteurs, à la suite de M. Ferguson, attribuent cet idéalisme ainsi que la fierté d’une révolution sans violence (qui n’est du reste qu’un mythe) à l’appartenance de la plupart des « Pères Fondateurs » à la Franc-maçonnerie et autres traditions ésotériques. Les New Agers se perçoivent comme les héritiers directs des « Pères Fondateurs » qu’ils considèrent comme des révolutionnaires mystiques inspirés par un double idéal : de liberté religieuse, et d’égalité entre les citoyens. Pour les participants de la nouvelle conscience, la révolution de 1776 constitue un jalon dans la réalisation de la « Destinée Manifeste », dont l’avènement du New Age constituera le point d’orgue. En ce sens, les auteurs du New Age s’approprient une construction mythologique qu’ils exploitent et développent selon des thématiques populaires (traditions du secret, pouvoir des réseaux, quête de liberté, refus de la hiérarchie, pacifisme, etc.). Dans cette lecture orientée de l’histoire, le système légal est perçu comme un garant des libertés religieuses, même si dans la réalité, les lois américaines ont aussi été des instruments de contrôle des religiosités alternatives, au service de la société traditionnelle.
M. Ferguson, The Aquarian Conspiracy, p. 120.
S. Ahlstrom, A Religious History of the American People, 1979, p. 156.
Ibid., pp. 379-380.
E. Marienstras, Les Mythes fondateurs de la nation américaine, pp.23-24.