3. La Constitution, le Bill of Rights, et les Nouveaux Mouvements Religieux

La Déclaration d’Indépendance de 1776, puis la Constitution de 1787, établissent les bases d’un Etat de droit. En 1791, le Bill of Rights définit le cadre des relations entre les Eglises et l’Etat, qui s’avèrent d’autant plus conflictuelles que les religions dans les Etats fédérés sont non-conventionnelles. Le Premier Amendement garantit la liberté de religion, et plus spécifiquement la non-ingérence de l’Etat dans la création ou l’interdiction d’une quelconque religion :

‘Congress shall make no law respecting an establishment of religion, or prohibiting the free exercise thereof; or abridging the freedom of speech, or of the press; or the right of the people peaceably to assemble, and to petition the government for a redress of grievances. ’

En conséquence, toute régulation de la part de l’Etat dans le domaine religieux doit être motivée par un intérêt supérieur, comme par exemple la protection des individus sur le plan physique et moral, la protection des « bonnes mœurs », et de la patrie, éléments dont la définition même prête à des interprétations divergentes. La liberté religieuse se construit donc petit à petit au sein d’une communauté. L’histoire des relations entre l’Etat et les minorités religieuses a été décrite en détail par W. Shepherd 61 et A. Burstein. 62

Dans un premier temps (de 1791 à 1878), les enjeux religieux sont ailleurs. Chaque Etat a sa religion dominante (et « traditionnelle ») et la pratique religieuse ne pose donc que peu de problèmes jusqu’à l’arrivée de nouveaux mouvements, dont les aspects novateurs peuvent être perçus comme une menace pour l’équilibre social.

L’un des premiers procès intenté contre un Nouveau Mouvement Religieux eut lieu en 1878, et mettait en cause le droit des Mormons à la polygamie (Reynolds v. United States (98 U.S. 145, 1878)). D’une part, les Mormons revendiquaient leur liberté d’obéir à l’un des principes de leur religion, d’autre part la polygamie était considérée comme mettant en péril une institution américaine fondamentale : la famille. Pour les législateurs, autoriser la polygamie équivaudrait à saper les valeurs de la société.

A cette occasion, pour la première fois (mais c’était déjà le cas dans l’Amérique coloniale) la liberté de religion est « sacrifiée » au profit de « l’institution » qu’est la notion de famille dans la société américaine. A la fin du XIXème siècle, l’issue de ce procès semble évident, comme le souligne W. C. Shepherd : « The Mormon cases were easy. Prevailing popular opinion was pitted against this persecuted minority group, and the offense was clear and statutorily forbidden. » 63 Deux ans plus tard, l’appartenance à ce groupe religieux était déclarée illégale et les biens immobiliers du groupe étaient confisqués par le gouvernement. Lors du procès de 1878 (Reynolds v. United States (98 U.S. 145, 1878))., les tribunaux établissent une distinction entre les croyances – privées et protégées – et les pratiques – qui doivent rentrer dans le cadre de la loi générale.

En 1940 survient une autre série de procès, centrés cette fois-ci autour des Témoins de Jéhovah et du patriotisme. Les conflits émergent avec le refus d’écoliers de cette religion de saluer le drapeau américain. Un premier procès (Minersville School District v. Gobitis) en 1940 leur donne tort et soutient l’expulsion des élèves concernés, mais dès 1943 cette décision est renversée dans West Virginia State Board of Education v. Barnette. Dans ce court laps de temps marqué par l’entrée en geurre des Etats-Unis, l’affaire perd de son intérêt aux yeux du grand public, les Témoins de Jéhovah sont moins stigmatisés.

Un cas assez simple se joue en 1949, dans Bunn v. North distorsion, et la Cour Suprême condamne à cette occasion la pratique de « snake-handling » 64 . Le danger réel et physique est une raison suffisante pour interdire une pratique religieuse.

Dans les années 1960 se déroulent les « Sunday Law Cases », qui mettent en scène des religions dont le jour de repos hebdomadaire ne coïncide pas avec le jour légal (Juifs et Adventistes du Septième Jour). Ici les implications sont plus économiques que civiques, et l’obligation de fermeture de 2 jours consécutifs (au jour chômé légal se rajoute le jour religieux) constitue pour les commerçants et entrepreneurs un préjudice économique. Dans Braunfeld v. Brown (366 U.S. 599, 1961), les lois de Pennsylvanie imposant le dimanche comme jour de congé sont maintenues. Cependant, en 1963, dans Sherbert v. Verner, la Cour décide le versement d’indemnités chômage à un employé qui démissionne parce qu’il ne peut pas travailler le samedi.

Un autre type de procès est intenté par des membres de minorités religieuses (Adventistes du Septième Jour, Témoins de Jéhovah, par exemple) pour qui le respect de leur religion entre en conflit avec le devoir de citoyen. La religion des Adventistes du Septième Jour leur interdit de prendre les armes, ce qui entre en conflit avec la loi américaine, conflit qui sera résolu au cours d’un procès en 1946 avec United States v. Girouard (380 U.S. 163, 1965). Dans ce procès, un citoyen canadien demandait la naturalisation, mais refusait de s’engager à prendre les armes en cas de conflit (il acceptait toutefois de servir l’armée de manière pacifique) car sa religion lui interdisait une action guerrière. La décision en sa faveur marque une première ouverture, qui sera confirmée avec United States v. Seeger en 1965, où la définition de ce qui constitue une croyance religieuse est élargie.

Cependant, les procès les plus typiques des Nouveaux Mouvements Religieux contemporains concernent les limites de l’autorité parentale, notamment sur des enfants adultes :

(1) Obliger tel parent à vacciner ou faire soigner son enfant (transfusion sanguine) malgré l’interdiction religieuse. Ces procès sont intentés par l’autre parent, non-membre du groupe, ou les grands-parents, ou la société civile (représentée par les écoles, crèches ou les autorités).

(2) le droit des parents à soustraire leurs enfants adultes à l’influence d’une religion qui manipule et exerce une forme de contrôle mental (« lavage de cerveau ») sur ses membres. On peut donc dire que ces membres n’ont pas usage de leur liberté, tout comme dans les cas de démence. Ces procès se déclinent sous deux formes, les deux côtés d’un même conflit :

Ces procès reposent donc sur la démonstration que le mouvement vise à « manipuler » ses adeptes ou participants. Dans ce cadre, nombre de sociologues et psychologues sont appelés à donner un avis d’expert. La question est en effet complexe, comme le remarque W. Shepherd :

‘A person’s conversion experiences relate to whether the new beliefs were voluntarily or involuntarily acquired; these circumstances, however, are logically independent of the sincerity of belief. A sincere belief may be held voluntarily or involuntarily, and the capacity to affirm it in the present context is conceivably different from capacities in play at the time of conversion. ’ ‘Still another variable is that a person may voluntarily consent to a process of coercive influence with reasonable knowledge about what he is getting into. One may freely choose entrance into a coercive order. If informed consent holds up under inquiry, the person is competent regardless of mind control techniques employed on him. 65

Enfin, les implications légales et juridiques de la définition d’un mouvement en tant que religion ou groupe laïque ne sont pas à négliger. Aux Etats-Unis, le statut légal informe le statut fiscal, ce qui explique que l’Eglise de la Scientologie* ait lutté pour obtenir le statut de religion, car il lui permet d’obtenir un certain nombre d’avantages fiscaux, en particulier au niveau des déductions d’impôts, ainsi qu’une protection au niveau international. Les Etats-Unis ont en effet le devoir de préserver une religion américaine contre les « persécutions » dont elle est victime à l’étranger, ce qui explique le soutien juridique américain dans les procès en France ou en Allemagne.

A l’opposé, être classé en tant que religion présente aussi des problèmes : car dans un Etat laïc, où religieux et temporel sont séparés, une organisation religieuse n’a pas sa place dans une institution publique. C’est le problème auquel la Méditation Transcendantale* a été confrontée : elle a tenté d’éviter le statut légal de religion afin de pouvoir être enseignée dans les écoles et les prisons.

Notes
61.

W. C. Shepherd, To Secure the Blessings of Liberty: American Constitutional Law and the New Religious Movements, 1985.

62.

A. Burstein, Religion, Cults and the Law, 1980.

63.

W. C. Shepherd, To Secure the Blessings of Liberty: American Constitutional Law and the New Religious Movements,1985, p. 9.

64.

Pratique répandue dans les Eglises Pentecôtistes rurales du sud-est des Etats-Unis, qui consiste à manipuler des serpents venimeux, à boire des substances empoisonnées à l’arsenic ou à la strychnine. Cette pratique s’appuie sur l’Evangile de Marc 16 : 17, 18 : « Voici les miracles qui accompagneront ceux qui auront cru: en mon nom, ils chasseront les démons; ils parleront de nouvelles langues; ils saisiront des serpents; s'ils boivent quelque breuvage mortel, il ne leur feront point de mal; ils imposeront les mains aux malades, et les malades, seront guéris. »

65.

W. C. Shepherd, To Secure the Blessings of Liberty, p. 25.