1. Éthique du travail et du capitalisme

L’un des phénomènes frappants au sein du New Age est la popularité des « leçons de prospérité » (prosperity teachings), qui associe succès économique et succès spirituel. C’est d’autant plus significatif, que la contreculture était allée très loin dans la dévalorisation des richesses matérielles et du capitalisme (notamment avec l’ascétisme de plusieurs Nouveaux Mouvements Religieux). La réconciliation avec les valeurs conventionnelles s’accompagne d’une nouvelle perception du travail et de la vocation (cf. infra, V. B. 1.).

Dans la perception puritaine, de la notion de sacerdoce universel (qui impose l’ascétisme à tous), découle la notion calviniste de « vocation », selon laquelle le devoir de l’individu par rapport au créateur s’accomplit non plus dans une retraite du monde séculier, mais dans une activité inscrite dans le monde, c’est-à-dire économique.

‘[…] estimer que le devoir s’accomplit dans les affaires temporelles, qu’il constitue l’activité morale la plus haute que l’homme puisse s’assigner ici-bas – voilà sans conteste le fait absolument nouveau. Inéluctablement, l’activité quotidienne revêtait ainsi une signification religieuse, d’où ce sens que prend la notion de Beruf. […] L’unique moyen de vivre d’une manière agréable à Dieu n’est pas de dépasser la morale de la vie séculière par l’ascèse monastique, mais exclusivement d’accomplir dans le monde les devoirs correspondant à la place que l’existence assigne à l’individu dans la société, devoirs qui deviennent ainsi sa « vocation ». 71

La doctrine de prédestination renforce également la nécessité de travailler. En effet, puisqu’une vie de labeur est signe de grâce divine, et que chaque homme se sent dans l’obligation de se compter parmi le nombre des élus, cet « ascétisme temporel » devient à la fois signe d’élection et acte de foi.

‘D’une part, se considérer comme élu constituait un devoir ; toute espèce de doute à ce sujet devait être repoussé en tant que tentation du démon, car une insuffisante confiance en soi découlait d’une foi insuffisante, c’est-à-dire d’une insuffisante efficacité de la grâce. […]’ ‘D’autre part, afin d’arriver à cette confiance en soi, le travail sans relâche dans un métier est expressément recommandé comme le moyen le meilleur. Cela, et cela seul, dissipe le doute religieux et donne la certitude de la grâce 72 .’

En conséquence, la paresse ou la répugnance au travail – quelles qu’en soient les motivations – sont triplement répréhensibles : d’une part, ce ne sont pas des attitudes pieuses (agréables à Dieu) ; ensuite, ne pas faire fructifier les œuvres de Dieu sur terre par le travail constitue un péché ; et en troisième lieu c’est le signe de non-élection, dans les termes de M. Weber : « La répugnance au travail est le symptôme d’une absence de la grâce. » 73 Le New Age fera par la suite fréquemment usage de cette métaphore :

‘Désirer être pauvre – cette argumentation était fréquente – équivaut à désirer être malade, ce qui est condamnable en tant que sanctification par les œuvres, et dommageable à la gloire de Dieu 74 .’

Cependant, cette notion de « vocation » n’est pas considérée de manière abstraite ou selon des critères d’accomplissement de soi, comme cela tend à être le cas au sein du New Age 75 , mais se manifeste de manière tangible par « le travail rationnel à l’intérieur d’un métier ». 76 La vocation peut être mesurée d’après des critères objectifs et vérifiables d’utilité et d’action dans le monde, c’est-à-dire d’après sa portée économique.

Ainsi, le travail va de pair avec la richesse, qui est le signe du succès terrestre par excellence, et donc de la grâce divine. Cette valorisation du travail économique et la déculpabilisation par rapport à l’accumulation de biens va devenir une constante dans l’histoire américaine. Ceci peut bien sûr conduire à rechercher la richesse matérielle, non plus comme un signe d’élection et une promesse pour l’au-delà, mais comme un confort immédiat et une fin en soi :

‘L’auto-aliénation dans le travail et dans le profit, l’ascèse inconsciente et involontaire de l’homme moderne, est la fille de l’ascèse intérieure, laborieuse et vocationnelle, dictée par la religion 77 .’

Cependant, tel n’est pas le message ni l’orientation du Calvinisme. En effet, l’homme n’est pas possesseur de biens matériels en son nom propre mais dépositaire de la création divine et chargé de la faire prospérer. La notion d’ascétisme qui est antérieure et prime sur celle de « vocation » interdit la consommation ou la jouissance des biens. Or, s’il est possible et même souhaitable de générer des richesses mais parallèlement inacceptable de dépenser, l’investissement des biens en tant que capital s’impose comme l’utilisation logique des biens acquis. C’est en ce sens que Weber considère le Calvinisme comme la religion propice par excellence à « l’esprit du capitalisme ». On voit donc dans le Calvinisme un double mouvement : d’une part une glorification de la prospérité comme signe de la grâce divine (et la quête de l’enrichissement est considérée comme une quête spirituelle), et d’autre part une éthique d’ascétisme. Dans le New Age, cette ambivalence se manifeste d’une autre manière : la prospérité doit idéalement être la conséquence d’un état de grâce spirituel, et l’avidité et le matérialisme sont dévalorisés.

Notes
71.

M. Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, p. 90.

72.

Ibid., pp. 127-128.

73.

Ibid., p. 191.

74.

Ibid., p. 197.

75.

Selon M. Ferguson, « In the new paradigm, work is a vehicle for tranformation. Through work we are fully

engaged in life. […] In responding to vocation – the call, the summons of that which needs doing – we create

and discover meaning, unique to each of us and always changing. » The Aquarian Conspiracy, p. 342.

76.

M. Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, p. 195.

77.

E. Troeltsch, Protestantisme et modernité, 1991, p. 93.