2. Élitisme

Dans le New Age, l’esprit démocratique est mis au premier rang des vertus américaines. L’ensemble des auteurs affirme que le mouvement est l’aboutissement de la démocratisation de la religion (puisque le divin est immanent en chacun, et le potentiel personnel illimité) (cf. infra, V. C. 2.). Cependant, la dénonciation des tendances élitistes est la principale critique adressée à la nouvelle conscience par ses détracteurs.

Une telle contradiction est manifeste au sein du Puritanisme, et la tension entre élitisme et démocratie s’exprime dans les premières colonies. La doctrine de la prédestination implique au niveau individuel, une certaine forme d’élitisme, puisque certains sont convaincus du salut (« les élus ») alors que les autres – la grande majorité – sont perdus sans espoir de rédemption, quelles que soient leurs actions. L’élitisme au niveau individuel se retrouve au niveau du groupe et de la société. Les Puritains qui colonisent la Nouvelle-Angleterre ont le sentiment d’être « le peuple élu ».

La Réforme incite à la lecture quotidienne de la Bible, et ainsi l’Ancien Testament est réapproprié par les croyants. En particulier, l’errance des Juifs et leur quête de la terre promise prendra un sens fort pour les colons américains. De cette identification découlent, d’une part un sentiment tribal qui convient parfaitement aux besoins et à la réalité d’un groupe de pionniers en territoire inconnu et hostile, et d’autre part, la notion d’être le « peuple élu ». Dans ce contexte, la notion que le Calvinisme a été la religion de l’avènement de la démocratie est remise en question, comme le rappelle E. Troeltsch :

‘La démocratie véritable a toujours été étrangère à l’esprit du calvinisme, et elle n’a pu s’en inspirer pour se développer que là où, comme dans les Etats de la Nouvelle Angleterre, les anciennes structures du corporatisme européen faisant défaut et où les institutions politiques surgissaient des institutions religieuses. Mais, là-bas aussi, elle s’est transformée en la plus stricte théocratie, puisque l’éligibilité était conditionnée par une appartenance à l’Eglise […], puisque les chefs, ainsi élus, se considéraient comme des patriarches, fondés à intervenir de la manière la plus précise dans l’éducation éthique et religieuse 78 .’

La question de l’élitisme du Puritanisme est à replacer dans le cadre d’une tension constante dans la société américaine entre égalitarisme et élitisme. Dans le même temps, les Américains sont fiers de leur pragmatisme, de leur anti-intellectualisme, de la « médiocrité » et de l’égalitarisme qui règne dans la société. Le mythe de la Frontière s’appuie en particulier sur le fait que les conditions de vie difficile mettent les pionniers sur un pied d’égalité : quelle que soit la naissance, les éléments (vent, neige, froid), maladies, guerres indiennes, frappent tous les hommes indifféremment. B. Franklin parle d’ailleurs de « bienheureuse médiocrité » et pour Tocqueville également, l’absence d’aristocratie est un élément frappant des Etats-Unis.

Et pourtant, des phénomènes insidieux de reproduction des privilèges (notamment raciaux), les tendances d’enrichissement des plus riches et d’appauvrissement des plus pauvres, le lobbying et système de financement des campagnes électorales et des partis tendent à concentrer pouvoir économique et pouvoir politique dans les mêmes mains, créant une véritable élite.

A l’heure actuelle au sein du New Age, le même type de problématique se développe. L’une des principales critiques faite au mouvement, est son caractère de plus en plus élitiste, cependant que les auteurs comme les participants revendiquent l’égalité de tous face à la connaissance et à l’accès au « mieux-être » que procure le New Age. Selon S. Sutcliffe, les deux tendances (volonté de démocratie et l’élitisme « naturel » de certains groupes) ne peuvent converger que dans une certaine mesure :

‘[…] such populist claims on access to special states of consciousness and subtle experience are likely to sit awkwardly with the practical demands of the elite-oriented, highly-skilled methodology required actually to attain them in most religious traditions. So while something akin to a mass culture of virtuosity […] may yet take hold as a result of the increasing ideological dissemination in popular culture of the idea of spiritual virtuosity, its simultaneous dilution in potency may be inevitable, given that – as Weber badly puts it – ‘ “heroic” or “virtuoso” religiosity is opposed to mass religiosity’. 79
Notes
78.

E. Troeltsch, Protestantisme et modernité, pp. 83-84

79.

S. Sutcliffe, « ‘Wandering Stars’: Seekers and gurus in the modern world » in M. Bowman, S. Sutcliffe, Beyond New Age, p. 30.