Primauté de l’expérience

La présence des valeurs américaines au sein du New Age se manifeste notamment dans une approche utilitariste. En premier lieu, les New Agers accordent beaucoup d’importance à l’expérience, primordiale, qui en devient un moyen de justification à part entière. Dans ce processus, les théories et dogmes s’effacent, les résultats pratiques seuls comptent. est*, par exemple, fonde sa validité sur les résultats que ses membres-clients peuvent obtenir.

Cette glorification de l’expérience n’est pas sans rappeler l’engouement de la contreculture pour les expériences psychédéliques, en particulier induites par les drogues. Certains considèrent que l’intérêt de la nouvelle spiritualité pour les états de conscience altérés (hypnose*, méditation, relaxation sophronique*, régression dans les vies antérieures*, dédoublement astral*) n’est autre qu’une transformation du mouvement psychédélique qui rentre dans la légalité. Le New Age recherche en effet une manière plus « naturelle », plus saine, de parvenir à ces états.

De telles expériences, souvent rassemblées sous l’appellation générique « expériences mystiques », sont très similaires dans les différents groupes et ouvrages, au point que l’on peut distinguer un certain nombre d’éléments communs, ou normes. L’un de ces points communs est le sentiment d’être l’univers, que l’on retrouve dans The Celestine Prophecy et Way of the Peaceful Warrior :

‘I perceived everything to be somehow part of me. As I sat on the peak of the mountain looking out at the landscape falling away from me in all directions, it felt exactly as if what I had always known as my physical body was only the head of a much larger body consisting of everything else I could see. I experienced the entire universe looking out on itself through my eyes.’ ‘This perception induced a flash of memory. My mind raced backward in time, past the beginning of my trip to Peru, past my childhood and my birth. The realization was present that my life did not, in fact, begin with my conception and birth on this planet. It began much earlier with the formation of the rest of me, my real body, the universe itself. 131 ’ ‘For an instant, from a vantage point somewhere in space, I felt myself expanding at the speed of light, ballooning, exploding to the outermost limits of existence until I was the universe. Nothing separate remained. I had become everything. I was Consciousness, recognizing itself ; I was the pure light that physicists equate with all matter, and poets define as love. I was one, and I was all, outshining all the worlds. In that moment, the eternal, the unknowable had been revealed to me as an indescribable certainty. 132

Ces expériences mystiques ont par ailleurs une valeur intrinsèque, elles fonctionnent en tant qu’explication du monde et justification d’actes et de pratiques spirituelles.

Un certain nombre de critiques semblent considérer que la plupart des Nouveaux Mouvements Religieux proposent un système de croyances qui ne peut être validé par l’expérience, tant ces croyances sont extraordinaires. Cependant, un examen plus approfondi du système de pensée de divers mouvements montre que la plupart, non seulement parviennent à intégrer toute expérience dans leur vision du monde, mais encore qu’ils peuvent exclure les réalités qui entrent en contradiction avec leur perception. D. Snow et R. Machalek présentent l’exemple du Nichiren Shoshu* (mouvement d’inspiration japonaise) :

‘On the one hand, anything that is perceived as negative, undesirable, or that impedes members’ progress and interferes with Nichiren Shoshu activities is attributed to three obstacles and four devils (Shansho Shima) that stand in the way of members’ practice and prevents them from attaining enlightenment. On the other hand, anything that is beneficial to the member or the movement is attributed to the power of chanting Nam-Myoho-Renge-Kyo to the Gohonzon (sacred scroll). 133

Beaucoup d’autres mouvements fonctionnent ainsi, intégrant les expériences qui confirment leur philosophie, et rejetant celles qui ne s’y conforment pas en tant que manifestation de l’ego*, du mental (Mind), ou d’autres démons plus ou moins intérieurs. Ils parviennent à présenter l’utilisation la plus complète possible de l’expérience.

La vie privée et religieuse est soumise à rationalisation : on cherche l’expérience la plus intense, la plus juste pour le moindre coût. S. Tipton remarque que l’on constate une extension du principe utilitariste, qui en vient à réguler de plus en plus d’éléments de la vie :

‘Intertwined with industrial, technological, and bureaucratic social conditions that have spread throughout a modernizing America, the “bottom line” of utilitarian values has lengthened until today they govern many areas of American life in practice if not in the rhetoric of “one nation under God.” They have redrawn the contours of our culture. 134

En ce sens, l’utilitarisme américain, loin d’avoir perdu en influence, s’est au contraire étendu, jusqu’à réguler la spiritualité et la sphère privée, domaines qui étaient pourtant jusque dans les années 1950 clairement isolés et indépendants de la vision utilitariste.

La primauté de l’expérience entraîne par ailleurs un désir d’expérimentation, qui fonctionne à la fois comme motivation pour entrer dans le mouvement New Age, et pour évoluer d’un groupe à l’autre au sein de la « nouvelle conscience ». En effet, le lien entre contreculture et Nouveaux Mouvements Religieux fonctionne en ce domaine, et le désir d’expérimenter qui a conduit les hippies vers l’usage des drogues, les fait ensuite se tourner vers des états de conscience modifiés induits de manière plus « naturelle », par des rituels, transes ou techniques diverses (hypnose* ou autre).

Ainsi, F. Bird et W. Reimer remarquent une correspondance entre usage de drogue et implication dans les Nouveaux Mouvements Religieux, et dans certaines pratiques du New Age, en particulier la divination :

‘Persons who have used marijuana or LSD three or more times are also twice as likely to have become participants in New Religious Movements than persons who have either never used these drugs or used them less intensely. […] Given the high dropout rate from these movements, experimentation with drugs seems correlated with experimentation with religious movements and experimentation with divination practices. 135

Notes
131.

J. Redfield, The Celestine Prophecy, p. 98.

132.

D. Millman, Way of the Peaceful Warrior, pp. 85-86.

133.

D. Snow and R. Machalek, “Second Thoughts on Presumed Frailty of Unconventional Beliefs,” (pp. 25-44) in E. Barker (ed.) Of Gods and Men, p. 31.

134.

S. Tipton, Getting Saved From the Sixties, pp. 13-14.

135.

F. Bird and W. Reimer “Participation Rates in New Religious and Parareligious Movements,” (pp. 215-238) in E. Barker (ed.) Of Gods and Men, p. 228.