Méliorisme et perfectibilité

Le culte de l’efficacité, associé à un optimisme quant à la nature humaine, se décline au niveau personnel en une croyance en la perfectibilité de l’homme. Dans le New Age, plus encore que dans la société américaine, chacun peut devenir parfait, ce qui en vient parfois à « tuer » la spontanéité. La conception américaine selon laquelle « tout peut s’apprendre » occupe une place de choix au sein de la « nouvelle conscience ». D’ailleurs, comme dans la société en général, les traditions de secret et le corporatisme sont moins développés qu’en Europe. 140

Cela se traduit par une simplification progressive à travers la diffusion élargie des principes ésotériques, en particulier par le médium du livre. Cette tradition littéraire (au sens large du terme) repose sur un principe démocratique qui considère que tout individu est capable d’apprendre même les savoirs et savoir-faire les plus compliqués, pour peu qu’il le veuille vraiment. Une telle conception du monde sous-tend aussi l’idée du « self-made man », mythe américain central. Ici encore, la culture New Age s’appuie sur l’idéologie américaine tout en la renforçant.

L’idée de la perfectibilité de l’homme prend dans le New Age une dimension extrême : il n’est plus seulement possible de se perfectionner, mais aussi de devenir parfait. Cet objectif de « parfaire » le soi prend donc une dimension religieuse de par sa visée totalisante, ultime et métaphysique. L’intensité du discours mélioriste, dans le sens où il propose à chacun de réaliser absolument tous ses désirs, et où il insiste sur la capacité de chacun à se transformer entièrement jusqu’à être parfait, génère parfois des insatisfactions et des frustrations lorsque la réalité se révèle être toute autre :

‘The population is fed a constant diet of advice on how to change for the better. There is little doubt that this generates a climate of discontent; a feeling that ‘if only I had … all would be well’. And there is little doubt that this climate encourages people – perhaps in a ‘let me see what it will do’ mode – to try out things which promise to erase the gap between aspiration and reality. 141

Par moments, le New Age se condamne à créer ce type de frustrations, lorsqu’il fait des promesses qu’il ne peut pas tenir, du moins pas dans leur sens premier. Cependant, certains clients ne sauraient se satisfaire d’un résultat métaphorique. C’est le cas par exemple au Chopra Center, lorsque celui-ci propose un séminaire « Reversal of Aging » : « Drs. Deepak Chopra and David Simon personally guide you through the very practical steps that can help you grow younger ». 142 Les clients sont partagés entre une compréhension au niveau figuré (ici, qu’il s’agit d’une jeunesse d’esprit mais pas nécessairement de corps) et des attentes implicites, inavouables parce que relevant d’une forme de crédulité, de l’avènement du triomphe de l’esprit sur la matière promis par le New Age 143 .

Le New Age semble donc répéter et amplifier le discours mélioriste existant aux Etats-Unis. En effet, il professe que chacun peut se transformer, atteindre un niveau de conscience supérieur, vibrer à une fréquence tellement élevée qu’il finira par devenir lumière…

‘When humans begin to raise their vibrations to a level where others cannot see them […] it will signal that we are crossing the barrier between this life and the other world from which we came and to which we go after death. This conscious crossing over is the path shown by the Christ. He opened up to the energy until he was so light he could walk on water. He transcended death right here on Earth, and was the first to cross over, to expand the physical world into the spiritual. His life demonstrated how to do this, and if we connect with the same source we can head the same way, step by step. At some point everyone will vibrate highly enough so that we can walk into heaven, in our same form. 144

De tels objectifs (tout comme la jeunesse éternelle proposée au Chopra Center) peuvent être pris à différents niveaux par les participants, allant d’une interprétation littérale qui implique une foi intense, à une vision métaphorique. L’usage que fait le New Age de la métaphore, ainsi que sa perception fluide de la « vérité », permet aux organisateurs de jouer sur une « demi-crédulité » proche du « willing suspension of disbelief » caractéristique des lecteurs de fiction. Si les participants du New Age prennent de telles affirmations comme des métaphores, les promesses miraculeuses n’en jouent pas moins un rôle inconscient de l’ordre du « et si c’était vrai… ».

M. Truzzi distingue quatre types de croyances paranormales en fonction de leur rapport à la communauté scientifique :

Dans le New Age, les approches mystiques intersubjectives sont les plus répandues : les objectifs de dépassement de la mort naturelle – irréalisables sur le plan biologique – sont placés sur un plan supra-physique, avec par exemple le principe de la réincarnation. Pour les 25% de la population américaine qui se déclarent croire à la réincarnation 146 , il est généralement accepté que chaque personne est sur terre pour accomplir un chemin spirituel (aussi appelé « sadhana »), et que ce processus plutôt long, se déroulera en plusieurs vies. G. Melton résume ce principe, commun à de nombreux mouvements :

‘Since few individuals complete their sadhana in one lifetime, the commonly accepted belief of reincarnation and karma provides a long-term framework in which to view individual spiritual progression. 147

Dans le contexte millénariste du New Age, cela se décline la plupart du temps à travers les siècles, ce qui explique que, au cours des régressions dans les vies antérieures, l’on découvre avoir vécu au Moyen Age, en Egypte Antique, ou en Atlantide (il est cependant beaucoup plus rare de régresser dans une vie à la période préhistorique). N. Drury explique comment cette idée peut se connecter à la conception du monde en tant qu’immense « aire de jeux », où l’expérience n’est ni bonne ni mauvaise, mais simplement structurante :

‘Most individuals drawn to the frameworks embodied in the New Spirituality are open to the idea of karma and past lives and see themselves involved in a spiritual growth process which may encompass many millennia and a succession of lifetimes. The planet is often referred to as a school for human experience, and we are all here to learn its lessons – at our own appropriate pace. 148

L’aspect ludique et imaginatif du travail sur soi que constituent les régressions dans les vies antérieures n’est pas sans lien avec la prolifération des univers de fiction, films de plus en plus fantastiques et mêlant avec plaisir les différentes époques historiques, ou jeux vidéos et jeux de rôles de plus en plus réalistes et fournis. Cependant, la perspective de progrès sur soi devient une véritable obligation régie par les règles de l’efficacité, du pragmatisme, l’extrayant ainsi du champ de la religiosité mystique :

‘Mais cette valorisation de la réalisation totale de soi-même qui recrédibilise pour une part les visions religieuses de l’accomplissement humain plénier soumet en même temps celles-ci à un ensemble d’impératifs culturels qui en transforment profondément l’orientation. Si accomplissement il y a, il doit être accomplissement individuel, réalisable dans ce monde‑ci, accessible par des moyens rapides dont on peut vérifier expérimentalement l’efficacité. La reformulation de l’attente spirituelle du salut selon les canons de la modernité la conduit sur des voies qui l’éloignent de l’horizon d’attente propre aux conceptions religieuses du salut. Elle la rapproche, paradoxalement, de la recherche pragmatique du résultat immédiat que l’on considère classiquement comme caractéristique de la magie. 149

La conversion est ainsi soumise à des logiques externes dépassant son cadre, qui font du New Age une spiritualité utilitariste et sécularisée. Les New Agers adoptent ainsi plusieurs credos américains.

Notes
140.

La Franc-Maçonnerie, si secrète en Europe, s’affiche ouvertement aux Etats-Unis, par exemple.

141.

P. Heelas, The New Age Movement, p. 149.

142.

Voir annexe IV.

143.

A ce sujet, il est intéressant de constater qu’aux Etats-Unis, il n’y a que relativement peu de recours en justice à l’encontre des produits New Age (que ce soit pour tromperie sur la marchandise ou pour publicité mensongère). Cela tient, tout d’abord, à une prudence sur la formulation de la part des commerçants New Age, et ensuite, au fait que les institutions de contrôle sont saturées d’affaires de grande ampleur. La FTC (Federal Trade Commission) est chargée de faire appliquer le Federal Trade Commission Act de 1914, dont l’objet est de lutter contre les pratiques commerciales déloyales, et notamment contre la publicité mensongère et la tromperie sur la marchandise. De plus, chaque Etat a ses propres lois de protection des consommateurs, qui régulent la publicité au sein de l’Etat. Certaines plaintes à l’encontre de produits New Age frauduleux relèvent de la compétence de la FDA (Food and Drug Administration), notamment le développement des compléménts alimentaires et suppléments vitaminés. Les interventions de ces deux institutions sont variées : les « E-meters » de l’Eglise de Scientologie ont été interdits et confisqués par la FDA en 1963, par exemple, et la vente de cartilage de requin comme remède contre le cancer a été interdite par la FTC en 2000.

144.

J. Redfield, The Celestine Prophecy, pp. 241-242.

145.

M. Truzzi, « Reflections on the reception of unconventional claims in science », 1989.

146.

cf. supra, Tableau V. A. 1.

147.

G. Melton, The Encyclopedic Handbook of Cults in America, p. 173.

148.

N. Drury, Exploring the Labyrinth, p. 57.

149.

D. Hervieu-Léger, La Religion en miettes, p. 115.