Le libéralisme repose sur l’extension des libertés individuelles, un des principes philosophiques de la modernité que le New Age a le mieux récupérée. L’élan communautaire de certains Nouveaux Mouvements Religieux dans les années 1960 et 1970 s’est muté dans les années 1980 et 1990 en un retour sur soi. Par certains aspects, même cet élan communautaire semble participer à la glorification de soi. M. C. Ernst remarque le rôle que le Zen* a joué dans ce retour vers l’individualisme :
‘Malgré tout, cette génération de désenchantés découvre dans le Zen que la sérénité, le Nirvana – Paradis nouvelle manière – doit être payée son prix, mais qu’elle peut être atteinte, et ceci par l’individu seul. Par un canal inattendu et exotique, on assiste ainsi à la réhabilitation de l’individualisme américain dont les valeurs avaient été si ébranlées par la Contreculture: l’individu, semble-t-il, peut par ce moyen opérer son salut par sa seule volonté, puisqu’il s’affranchit même de la grâce de Dieu ! 155 ’Ce retour de l’individualisme s’est effectué avec une telle force que P. Heelas considère que « the New Age is, above all else, about the self and its sacralization. » 156 Cependant, individualisme et égalité fonctionnent rarement de pair, et le New Age est confronté à la difficulté de concilier les deux. Le risque, d’une part que les droits d’un individu empiètent sur la liberté des autres, et d’autre part que le principe égalitaire limite la croissance de l’individu, est omniprésent dans le New Age comme dans la société en général. Le premier travers semble plus fréquent que le second, et il est dénoncé par nombre de critiques, comme le rappelle D. Spangler :
‘One of the primary criticism directed against the New Age is that it is self-involved and narcissistic. Its emphasis is on self-development, growth, therapy, and “creating one’s own reality.” 157 ’Comment éviter que la conscience de soi n’empêche d’avoir conscience d’autrui ? L’une des réponses de la nouvelle spiritualité, c’est que le Soi et l’Univers ne font qu’un. Ce message, largement répandu de manière abstraite (« Vous ne faites qu’Un avec l’Univers » 158 ) et de manière imagée dans les diverses narrations d’expériences mystiques, permet de résoudre le conflit entre soi et les autres. En ce sens, ce conflit n’existe pas, se développer soi-même équivaut à aider les autres.
Il y a donc des limites à ce qui est souvent qualifié « d’individualisme forcené » dans le New Age. Si la spiritualité alternative n’est pas au même plan que les religions traditionnelles qui constituent un véritable fait social collectif, l’importance accordée au cosmos et à la communauté préservent les participants du New Age d’un trop grand repli sur soi. Dans la pratique, une possibilité de résoudre le conflit entre intérêt, point de vue personnel (qui demeure exacerbé dans le New Age) d’une part, et le bien commun, la réalité de l’Autre d’autre part, est offerte par un troisième concept : le relativisme, et la tolérance qu’il implique :
‘The individual is the vehicle for religious experience and hence each person becomes his own priest and theologian but without any grounds for an intolerant rejection of his neighbour’s interpretation. 159 ’M. C. Ernst, Le mouvement religieux contreculturel, pp. 267-268.
P. Heelas, The New Age Movement, p. 160.
D. Spangler, “The New Age: The Movement Toward the Divine,” p. 91.
Notion développée par exemple dans D. Millman, The Way of the Peaceful Warrior, J. Redfield, The Celestine Prophecy, ou M. Ferguson, The Aquarian Conspiracy.
C. Campbell, “The Secret Religion of the Educated Classes,” p. 153.