3. L’Église amérindienne et le New Age

L’Église amérindienne (« American Indian Church ») s’est fondée autour du Culte du peyotl, parti du Sud-Ouest et qui s’est propagé parmi les tribus des plaines. Le peyotl est une plante hallucinogène, et la religion implique l’ingestion régulière de parties de la plante, qui provoque des visions interprétées de manière mystique. Grobsmith et Ritter décrivent le culte du peyotl :

‘ Southwestern Plains tribes such as the Lipan and Mescalero Apache, and southern Plains tribes like the Comanche, Caddo, Wichita, and Kiowa learned of peyote from their neighbors to the south, the Tarahumara and Huichol. The aboriginal use of peyote, a mild hallucinogen, can be traced back more than 7,000 years by archaeologists.’ ‘[…] The use of peyote became widespread in the Plains, and a new syncretic religion developed, modeled on a blend of Christianity and indigenous elements. Members of this “cult” attested to the significant changes the use of peyote brought to their people : peyotists were strongly anti-alcohol, against gambling, and discouraged sexual license. They stressed the importance of self-reliance, brotherly love, assuming responsibility for one’s family, and regaining control over one’s life. Peyotists were attracted to a way to return order and control to their lives. Peyotism offered them just that: a religion deeply rooted in native culture, yet incorporating basic elements of Christianity, to which they had become accustomed. Some have emphasized the role the religion has played in accommodation to the present circumstances they encountered, rather than escaping from the past. Above all, peyote use encouraged and reinforced sobriety for native people at a time when the devastating effects of acculturation were deeply felt. 171

Dans le contexte de la fascination des Hippies pour les drogues, et en particulier les drogues dites « naturelles », le culte du peyotl enthousiasme les participants de la contreculture, et les Amérindiens (ainsi que l’Eglise amérindienne) bénéficient de cet engouement dans les années 1960. Les écrits de Carlos Castaneda, décrivant son initiation dans la religion, ont également contribué à cette popularité.

Sun Bear, le chaman Sioux, a lui aussi activement participé au développement de liens entre le New Age et la culture amérindienne. Il a été l’un des premiers à accepter des blancs dans ses cérémonies, allant jusqu’à les initier à des rites panaméricains tels les « huttes de transpiration ». Il est l’un des fondateurs du concept de « Rainbow Tribe » – littéralement, « Tribu Arc-en-Ciel » – l’idée d’une tribu multiculturelle, qui en vient à désigner tous les non-Indiens qui adoptent cette religion.

L’intérêt marqué du New Age pour la civilisation amérindienne se situe cependant au sein d’un mouvement plus vaste, que l’on peut qualifier d’ « exotisation » et qui se manifeste particulièrement à l’attention de cultures éteintes (celte, maya) ou qui risquent de disparaître (aborigènes australiens). Cela implique en effet que l’on peut réifier ces traditions, les mettre « sous verre » et se les approprier plus facilement. Ce processus qui prend une religion aborigène pour en faire un objet prêt à consommer est répliqué par l’acte de fétichisme. Donaldson met ce parallèle en évidence lorsqu’elle dénonce l’impérialisme que l’on peut trouver chez des auteurs populaires comme L. Andrews 172  :

‘Fetishization abducts objects from their original contexts and denudes them of any social identity so that they may become signs for the collector who, like Andrews, is usually attempting to counteract her own psychic alienation or spiritual ennui. 173

De pair avec cet acte de réification, on retrouve dans le New Age une seconde caractéristique typique de l’impérialisme du XIXème siècle : ce qu’on nomme en anglais « romanticization » de la culture en question. Il s’agit d’une transformation des personnes physiques et réelles, qui ne sont plus vues que comme des êtres idéalisés, archétypes d’un état de spiritualité que l’on cherche à dupliquer. Cela permet au New Ager non seulement de progresser dans sa quête spirituelle, mais aussi de se débarrasser de certaines réalités matérielles peu agréables. Sur le plan idéologique, Donaldson note que : « […] like its ancestor, the Noble Savage, the New Age Indian is an innately spiritual being who lives in perfect egalitarian harmony with all of life and, in so doing, redresses the wrongs of patriarchal capitalism. » 174 Sur le plan pratique, la personne en recherche spirituelle peut évacuer le sentiment de responsabilité et de culpabilité du colonisateur/oppresseur envers les Indiens, puisque ces derniers sont ainsi extraits de tout contexte historique, économique et politique. I. Hernández-Avila remarque :

‘The appropriation of Native American spirituality relies on the romanticization (and objectification) of indigenous peoples. Those who appropriate ignore the humanity, complexity and intellect of Native peoples, just as they ignore the history of oppression that has been the experience of Native peoples in relation to the United States government and “mainstream” society. 175

Pour de nombreux Amérindiens, la récupération de leur spiritualité par l’homme blanc (et par l’intermédiaire du New Age) constitue le dernier maillon d’une dépossession à la fois matérielle et culturelle. Après avoir pris aux Indiens leurs terres, les avoir privé de leur mode de vie en les forçant à vivre sur des réserves, la cooptation des traditions spirituelles, et la commercialisation qui va avec, est la forme la plus totale de spoliation. Pour le New Age, en revanche, la spiritualité amérindienne représente une spiritualité idéale : américaine, en lien avec la Nature, laissant une place centrale aux femmes, utilisant des états de conscience altérés pour atteindre des « visions ». D’autres religiosités chamaniques, caractéristiques des peuples indigènes (cf. infra Chapitre X. C.) inspirent d’ailleurs les New Agers.

Notes
171.

E. S. Grobsmith and B. R. Ritter, in M. R. Mignon and D. L. Boxberger, Native North Americans : An Ethnohistorical Approach, 1997, p. 235.

172.

L. Andrews, Star Woman, 1986.

173.

L. Donaldson, “On Medicine Women and White Shame-ans: New Age Native Americanism and Commodity Fetichism as Pop Culture Feminism,” Signs: Journal of Women in Culture and Society, spring 1999, p. 686.

174.

L. Donaldson, “On Medicine Women and White Shame-ans”, p. 683.

175.

I. Hernández-Ávila, “Mediations of the Spirit: Native American Religious Traditions and the Ethics of Representation,” American Indian Quarterly, Summer 1996, p. 344.