1. Religions afro-américaines dans l’ensemble des Amériques : syncrétisme

Les différentes colonies américaines esclavagistes ont apporté des réponses divergentes (à la fois géographiquement et historiquement) à la question de la religion de leurs esclaves. Ces positions vont d’un abandon total des esclaves sur le plan religieux (comme ce fut le cas en Jamaïque et dans les colonies hollandaises où, jusqu’au début du XIXème siècle, la religion principale des esclaves était issue des religions africaines) ; à des efforts de conversion organisés, plus ou moins opposés à un inévitable syncrétisme. Les colonies françaises voient se développer le Vaudou*, cependant qu’au Brésil ou à Cuba, une conception des noirs comme humains et dignes de respect permet la propagation du Catholicisme et un syncrétisme important.

Ce contexte des Amériques eut de nombreuses influences sur l’esclavage aux Etats-Unis, parfois de l’initiative des maîtres – imitant ou dénonçant tel ou tel modèle – parfois par circulation des esclaves. Après la guerre civile, et au cours du XXème siècle, les migrations intra-continentales jouèrent aussi un rôle dans ce sens.

Aux États-Unis, la religion afro-américaine s’est constituée par rapport à l’influence de nombreuses religions, chrétienne, africaines, (même si les historiens ne s’accordent pas sur l’importance des religions africaines), et l’on peut même retracer des éléments amérindiens. La religion catholique semble mieux se prêter que le Protestantisme au syncrétisme avec la religiosité africaine, en particulier en ce que les nombreux Dieux africains ont pu être associés aux différents saints. Pourtant, E. Genovese note à ce sujet :

‘The West-African belief in a Pantheon of Gods passed to drastically different political settings in the new world. Without doubt, it syncretised much better with Catholic than with Protestant Christianity. West-Africans generally believed in a Supreme God, who presided in some ultimate sense over human morality, but they also believed in a large body of specific Gods. One normally reached the Supreme God through an appeal for the intercession of a lesser God, much as Catholics reach God by an appeal for the intercession of the saints or the Virgin Mary. […]’ ‘ Protestantism, especially in its Baptist and Methodist forms, offered a poor refuge. Where was one to find room for an Ogun cult, translated into homage to Saint George or Saint Anthony? Yet, as the experience of the British Caribbean revealed, the austerity and exclusiveness of the Protestant denominations left room for the retention of a much purer African religious tradition than did the universalism of the Church of Rome, which so much more easily absorbed the cults once they became diluted. 176

Dans le sud des États-Unis, cependant, la structure de petites plantations et de petites fermes, la mainmise des planteurs sur tous les aspects de la vie de leurs esclaves, ajouté au traumatisme du commerce triangulaire et de la traversée de l’océan Atlantique, n’ont pas permis la conservation de religions africaines spécifiques. Par contre, la conception africaine d’un panthéon de dieux prépare la transition vers les religions européennes monothéistes, qui comportent un Dieu unique et dont la puissance assure la victoire (guerrière et culturelle) de ses fidèles.

Quelques éléments de la religiosité africaine se maintiennent sous forme de superstitions ou de « corruptions » de la religion chrétienne imposée. La religion africaine est intégrée au quotidien et il n’y a pas de distinction entre les sphères religieuses et laïques. Dans le contexte de l’esclavage, note E. Genovese, le message chrétien est interprété en termes concrets et immédiats, malgré l’insistance des prédicateurs sur sa valeur symbolique et sur son application à l’au-delà 177 . La tension existante dans le Christianisme des anglo-européens, entre sentiment de culpabilité et missionarisme, est abandonnée des milieux afro-américains, au profit d’un humanisme chrétien qui prône la joie de vivre au cœur des épreuves 178 . La survivance de traditions spécifiques se manifeste principalement dans le « culte des ancêtres » (sentiment de responsabilité et de devoir envers les générations passées) et la croyance en une forme de réincarnation. L’ici-bas est considéré sous un angle positif, et la célébration de la vie 179 prime sur la vision de l’homme comme pécheur.

La construction syncrétique, l’humanisme, l’optimisme, et la croyance en la réincarnation sont autant d’éléments qui se retrouveront à la fois dans la religiosité populaire afro-américaine et dans le New Age, et constitueront des points de rencontre.

Notes
176.

E. D. Genovese,Roll, Jordan, Roll, 1976, p. 210.

177.

Id.

178.

Ibid., p. 212.

179.

Ibid., pp. 212-213.