Le judaïsme

Le judaïsme est, proportionnellement, l’une des religions qui fournit le plus de membres au New Age. Les raisons de cette attirance sont multiples :

- Tout d’abord, un grand nombre de « Juifs ethniques » (qui ont plus ou moins abandonné leur croyance) constituent une proportion importante de la tradition libérale (en particulier dans les conceptions de la famille, de la sexualité, et des valeurs morales) de la population américaine et sont donc plus réceptifs aux valeurs du New Age ;

- Ensuite, en tant que victimes d’une distorsion culturelle, ils seront particulièrement réceptifs à des mouvements qui proposent des réconciliations entre le monde spirituel et matériel, qui associent communautarisme et individualisme, et qui reproduisent le fort lien social des communautés juives ;

- Enfin, d’un point de vue purement théologique, le traumatisme de la Shoah, expérimenté directement par les générations d’avant le baby-boom et de manière à peine différée par les membres de la « Génération X » est encore aujourd’hui ressenti avec acuité. En conséquence, les religions qui fournissent une explication convaincante à la question du Mal, tout comme les religions millénaristes qui promettent une sortie du cycle de la violence, trouvent un écho au sein de ces populations.

Les disparités entre la présence des différentes religions dans le New Age peuvent s’expliquer par deux facteurs, théologique et sociologique. Le premier a donc trait au contenu des enseignements de la religion d’origine. Les religions les plus libérales et les plus sécularisées comprennent des individus qui n’attachent qu’une importance limitée aux dogmes et seraient plus ouverts aux discours œcuméniques et panthéistes de la nouvelle spiritualité. La prédominance du judaïsme réformé, et le libéralisme de ce dernier, corroborent cette hypothèse ; les individus socialisés au sein de la religion juive souhaiteraient conserver une spiritualité pour des raisons d’épanouissement et d’attachement à la communauté, mais leurs orientations sociales et politiques les pousseraient vers les mouvements de la nouvelle conscience. P. Hammond observe au sujet du judaïsme dans quatre Etats (Caroline du Nord, Ohio, Massachusetts, et Californie) :

‘[T]he percentage high in personal autonomy is so great that there remains no room for variation. […] Jews have the highest proportion of persons high in personal autonomy, exceeding even that of the Nones [persons with no religion]. This tendency – toward low local ties and the alternative morality – appears to be characteristic of Jews in all regions. 190

De même, au sein du Protestantisme, R. Stark observe que les groupes orthodoxes et évangéliques – moins libéraux et sécularisés, avec un fort attachement à la communauté et au respect des textes et des dogmes – sont moins sujets à défection au profit des Nouveaux Mouvements Religieux. 191

L’aspect affectif, irrationnel et émotionnel de la religion joue également un rôle. Il permet notamment de comprendre le différent taux de défection au profit du New Age qui existe entre le Catholicisme et le Protestantisme. En effet, dans la religion catholique, le rituel occupe une place privilégiée, alors que la religion protestante est plus sobre ; la première peut être qualifiée de religion du cœur et la seconde de religion de l’intellect. Or, les participants du New Age confèrent une grande importance au rituel. Plusieurs des personnes interviewées mentionnent la beauté des rites comme étant un élément décisif de leur choix, et une pièce centrale de leur religiosité 192 .

Ensuite, le caractère sociologique du groupe religieux exerce une influence. Les groupes qui ont un rôle identitaire, et qui coïncident avec une communauté, ne perdent que très peu de membres au profit du New Age. C’est le cas par exemple, des religions ethniques (catholiques, juives, islamiques, bouddhistes, etc.), pour qui l’aspect communautaire et social est encore très présent. La religion est un élément de l’identité, en particulier dans les contextes d’immigration et de déracinement. Il s’agit de ce que l’on peut nommer un « groupe primaire », ou encore ce que P. Hammond appelle la fonction « collective-expressive » de la religion. A l’inverse, les religions libérales et intellectuelles ne demandent qu’un investissement minime de la part de leurs membres. La spiritualité y est diffuse, et aucune tendance totalitaire ne s’exprime. Nous sommes ici proches de l’anomie (telle que définie par E. Durkheim), ou de ce que P. Hammond appelle la fonction « individuelle-expressive » :

‘For many therefore – especially those not embedded in primary groups – the church is simply one of these segmented relationships. Far from expressing collective ties, the church is one of the ways by which individuals (often joined by other members of their nuclear families) may try to cope with this segmented life. Very much a voluntary association for such people, the religious organization represents for them not an inherited relationship but a relationship that can be entered and left with little or no impact on their other relationships. Church for them is not simultaneously a gathering of kin, neighbors, fellow workers, and leisure-time friends but rather a separate activity, expressing another meaning. For such people it is not a necessary moral compass, an anchorage in a world of conflicting expectations, but rather a safe harbor, one place to sort out life’s dilemmas. If such people do get involved in a church, they are therefore more likely to do so for their own reasons, even if they have friendly relations there. Their view of the church might therefore be called “individual-expressive.” 193

Le New Age puise dans le catholicisme et dans le judaïsme le sens du sacré, et dans le protestantisme un certain systématisme appliqué à la religion.

Notes
190.

P. Hammond, Religion and Personal Autonomy: the third disestablishment in America, 1992, p. 152.

191.

cf. R. Stark, The Future of Religion, Table 18.1, p. 400.

192.

Entretien avec Susan (25-02-2002), Carolyn (18-02-2002), Katherine (13-02-2002).

193.

P. Hammond, Religion and Personal Autonomy, p. 2.