Le Parlement mondial des religions et la première vague asiatique

Les premières influences religieuses et spirituelles de l’Orient aux États-Unis sont associées notamment à un événement marquant : le Parlement mondial des religions, qui eut lieu à Chicago en 1893. Dans un contexte où l’attrait de l’Orient était déjà exprimé par les Transcendentalistes, puis par des groupes comme la Théosophie, l’accueil réservé aux groupes orientaux représentés fut pour le moins chaleureux, et cette rencontre s’avéra être un ferment d’innovation dans l’histoire américaine des religions, comme le décrit J. Melton :

‘ The emergence of the alternative religious tradition in the West is fittingly symbolized by the 1893 World’s Parliament of Religions in which for the first time representatives of all the major world religions (and not a few minor ones) gathered for a six‑week meeting for dialogue around a multiplicity of issues and a sharing of belief systems. Out of this meeting several alternative religions were formed. Swami Vivekananda, possibly the single most electrifying speaker at the Parliament, organized the first American Hindu group: the Vedanta Society. Buddhist Anagarika Dharmapala talked philosopher editor Paul Carus into organizing the first American Buddhist group that sought members from among the general population, the Maha Bodhi Samaj. A few days after the Parliament, Dharmapala admitted the first Westerner into the Maha Bodhi Samaj at a Theosophical Society meeting. 195

Cependant, alors qu’une vision idéalisée de l’Orient se répand au niveau des élites, l’immigration asiatique et notamment chinoise à la même époque se déroule dans un climat bien différent. La construction du chemin de fer transcontinental nécessite dès la moitié du XIXème siècle un grand nombre de travailleurs pour des salaires de misère. Cette main d’œuvre bon marché sera constituée principalement d’Irlandais et de Chinois. Selon H. Zinn, en 1880, 75 000 immigrants Chinois travaillent en Californie, soit près d’un dixième de la population, et y sont l’objet de violences continuelles. 196

Cette violence est liée aux sentiments de racisme et de nativisme dans la population américaine, qui s’expriment tout d’abord de manière locale, par des lois et arrêtés passés par exemple, à San Francisco ou Los Angeles, au sein des syndicats, avant que le Congrès ne commence à passer des lois d’exclusion, en 1882 pour 10 ans, et prolongées par la suite. 197

Suite aux manifestation nativistes, en 1924, le système de quota par origine nationale est mis en place, qui limite le nombre d’immigrants par pays – de manière arbitraire ou en fonction des préjugés racistes. A titre d’exemple, le nombre d’immigrants chinois (tout comme pour toutes les nations africaines) est limité à 100 par an. D’après J. Melton, cette politique a eu des effets immédiats sur la religiosité orientale aux États-Unis :

‘ The acts […] cut off the trickle of Eastern teachers coming to the United States, thus effectively limiting the spread of Hinduism and Buddhism. Buddhist teachers allowed into the country largely confined their activities to serving the Japanese‑speaking groups on the West Coast. The few swamis who came established small Hindu movements: Baba Premanand Bharan (the Krishna Samaj); Yogi Hare Rama (the Benares League); Sri Deva Ram Sukul (Hindu Yoga Society); Swami Bhagwan Bissessar (Yogessar); Srimath Swami Omkar (Sri Mariya Ashrarna); Kedar Nath Das Gupta (Dhanna Mandala); American‑born guru Pierre Bernard (American Order of Tantricks); and I 'andit Acharya (Yoga Research Institute). 198

De même, l’internement pendant la Deuxième Guerre mondiale de l’ensemble de la population japonaise a perturbé la propagation du Bouddhisme*, et particulièrement du Zen*. L’autre effet de l’absence de guides spirituels asiatiques, toujours d’après J. Melton, a été de déplacer sur les enseignants de l’occulte la responsabilité de diffuser la spiritualité orientale :

‘After World War II, Eastern thought was [transferred] through (and more or less distorted by) the likes of Manley Palmer Hall,Alice Bailey, Baird T. Spaulding, and Edwin Dingle. Possibly more important than their individual teachings, however, occultists as a group hammered home the central idea, “The East is the true home of spiritual knowledge and occult wisdom.” 199

L’un des effets les plus paradoxaux de cette pénurie de gourous asiatiques, a été qu’un certain nombre d’étudiants en religions orientales ont donc eux-mêmes décidé d’aller à leur rencontre, souvent en Inde. Certains d’entre eux revenaient aux États-Unis pour former de nouveaux groupes, et ont ainsi préparé le terrain pour le développement de formes particulières de religiosité.

Notes
195.

J. G. Melton « How New Is New? The Flowering of the "New" Religious Consciousness since 1965 » in D. Bromley, P. E. Hammond, The Future of New Religious Movements, 1987, p. 48.

196.

H. Zinn, A People’s History of the United States 1492 – Present, 1995, p. 259.

197.

Bernhard et al, First-Hand America : A History of the United States, 1991, p. 546.

198.

J. G. Melton « How New Is New? The Flowering of the "New" Religious Consciousness since 1965 » in D. Bromley, P. E. Hammond, The Future of New Religious Movements, p. 51.

199.

Id.