Le syncrétisme du New Age a parfois été comparé à la religiosité populaire (« folk religion »). En effet, la religion populaire est un élément ancien du paysage religieux, dont la structure amorphe et diffuse constitue un élément de confusion avec le New Age. Le second n’a par ailleurs pas hésité à puiser dans les traditions de la première, ce qui rend la distinction plus périlleuse encore. P. Williams définit la religion populaire selon trois axes :
‘1. In terms of social structure, all these movements exist apart from or in tension with established groups with regular patterns of organization and leadership. […]’ ‘2. In terms of sociology of knowledge, the beliefs and lore of these movements are transmitted through channels other than the official seminaries or oral traditions of established religious communities, whether tribal or modernized. […]’ ‘3. In terms of symbolism, expression, and behavior, “official” religion tends to take on characteristics consonant with the broad sociological process called “modernization.” […] Popular movements, in contrast, generally look for signs of divine intervention or manifestation in the realm of everyday experience. 220 ’Selon tous ces critères, on peut considérer le New Age comme une expression de la religion populaire. Cependant, l’autre acception du mot « populaire » implique que cette religiosité recrute essentiellement au sein des classes « populaires » (ou défavorisées). Cela ne semble pas être le cas du New Age, et cette observation nous amène à proposer l’interprétation suivante :
Le New Age est un courant religieux qui touche plusieurs couches de la société, des plus instruites et élitistes aux plus populaires. L’un des facteurs qui facilite le syncrétisme New Age, c’est tout simplement sa superficialité. En effet, les principes démocratiques, le mode consommateur de relation entre le croyant et sa croyance, la place réduite du transcendant dans le quotidien, sont autant d’éléments qui incitent à consommer, toujours plus rapidement, des croyances et des mysticismes de plus en plus « conditionnés », en quelque sorte vidés de leur substance. La place du New Age, à la marge du religieux (ses participants se revendiquent d’ailleurs souvent comme « spirituels, mais pas religieux ») est cruciale dans son appréhension des croyances, des mythes, des rituels, ou d’une philosophie de vie.
Ainsi, le New Age reste à la frontière des traditions hermétique ou orientale : les longs processus d’initiation ne se prêtent pas aux exigences contemporaines de rapidité d’exposition, rapidité d’assimilation. Lors d’une enquête de terrain 221 au sein d’un groupe intéressé par l’auto-hypnose*, une personne se présenta ainsi : « Je voulais faire du massage, mais j’ai vu que tous leurs programmes sont en deux ans, et vous comprenez, moi j’ai 45 ans, je me vois pas me lancer dans un truc interminable. Alors je pense que ce que vous, vous proposez, en quinze jours ou un mois, à peu près, je peux ouvrir mon cabinet et commencer à pratiquer ».
Outre cette superficialité impliquée par les exigences de rapidité, le New Age parvient également à intégrer en son sein un si grand nombre de traditions, en ce qu’il les réduit tout d’abord à un dénominateur commun : l’argent. En effet, si un « Shirodara » 222 coûte 81$, un cours par Internet d’un mois sur la spiritualité amérindienne par L. Andrews (auteur de Star Woman) 225$ 223 , un stage d’une semaine avec D. Chopra 1695$, une session de channeling 150$ 224 , toutes ces traditions deviennent comparables et compatibles, en fonction avant tout du potentiel économique de chacun.
Il existe également d’autres « convertisseurs », comme les nomme D. Hervieu-Léger, qui se situent, quant à eux, au niveau thématique plus que structurel :
‘ On voit ainsi apparaître des « convertisseurs » qui, par leur polysémie même, permettent de connecter des réseaux de significations ancrés dans des traditions religieuses différentes. On peut rappeler [...] la place qu'occupe la thématique de la « réincarnation » réinterprétée librement dans les termes fort peu bouddhistes d'une chance nouvelle offerte pour réussir sa propre vie, en évitant les impasses et les échecs du premier parcours. Autre « convertisseur thématique » de première importance déjà évoqué : la thématique de la guérison, qui permet de faire communiquer les univers religieux traditionnels ‑ dans lesquels la guérison s'articule à la perspective du salut, qu'elle annonce et anticipe ‑ et la redécouverte moderne de la centralité du corps dans le processus de la construction de soi. Mais il y a également des « convertisseurs pratiques » qui permettent ces transpositions d'un registre d’expérience dans un autre et d’un univers symbolique dans un autre : la diffusion des techniques de méditation (mobilisant une palette variée de traditions culturelles et religieuses différentes) constitue également un bon repère pour l’analyse de ces phénomènes de circulation. 225 ’Ainsi, le remarquable syncrétisme du New Age fonctionne tout d’abord par un appauvrissement des diverses traditions, qu’il les fait cohabiter au prix d’une préemption de leur substance.
On constate donc au sein du New Age un double mouvement : d’une part, une vocation syncrétique, un intérêt prononcé pour les cultures de tous pays, une véritable culture cosmopolite qui s’intéresse plus particulièrement aux cultures des classes défavorisées (le plus souvent des cultures indigènes, qui ont un caractère « authentique ») ; d’autre part un fonctionnement où l’échange réel (coûteux en temps, en énergie, en démarche personnelle et remise en question) n’est pas toujours recherché.
P. Williams, Popular Religion In America, pp. 17-18.
Observation participante, Dr. Costa Hypnosis.
Décrit dans la plaquette du Shiva Center for Yoga and Ayurveda comme : « a warm stream of herbalized oil is
gently and methodically poured onto the forehead, synchronizing brain waves, profoundly calming the mind,
body and emotions ».
Site Internet de Lynn Andrews, (http://www.lynnandrews.com/Courses/4Directions/Index.htm).
Publicité pour Katherine Torres, channel de l’entité « Malachi », déposée dans la librairie Wizard’s Circle.
D. Hervieu-Léger, La Religion en miettes, p. 136.