L’importance de la religion au service du conformisme et du patriotisme

Selon les indicateurs les plus classiques, à savoir, la participation aux offices religieux, ou la construction d’édifices destinés au culte, les années 1950 ont vu une explosion dans la religiosité. Comme le souligne M. Marty :

‘During the 1950’s, when people spoke of a “revival of religion,” metropolitan newspapers enlarged their sections devoted to religion. For a decade, the press gave attention to the material expansion of institutions. It dutifully reported on the building of churches and synagogues and chronicled the growth of religious bodies and the rise of attendance at rites. 227

La fin de la Deuxième Guerre mondiale fut marquée par un retour en masse de l’espoir, de la foi en la vie, et de confiance en l’idéal américain, comme en témoigne le « baby-boom ». La présidence d’Eisenhower renforça également l’importance accordée de manière officielle à la religion.

L’inauguration en 1953 du « Presidential Prayer Breakfast » (journée annuelle de prière célébrée par le gouvernement, à laquelle sont conviés des hommes religieux de plusieurs confessions), la notion de « faith in faith », ou foi dans la foi, le retour de l’évangélisme avec notamment les croisades de Billy Graham sont les marques caractéristiques de la religiosité des années 1950. La force que prend la religion – quelle qu’elle soit – est liée en partie à une conception utilitariste au service d’un équilibre mental intérieur, de l’harmonie sociale, et surtout, du patriotisme. C’est en 1954 que l’expression « under God » est ajoutée au Serment d’Allégeance (« Pledge of Allegiance »), et en 1956, l’inscription « In God We Trust » inscrite sur la monnaie. On assiste au renforcement de l’alliance implicite entre la religion et le système politique américain, tel qu’elle fut perçue par Tocqueville :

‘La liberté voit dans la religion la compagne de ses luttes et de ses triomphes, le berceau de son enfance, la source divine de ses droits. Elle considère la religion comme la sauvegarde des mœurs ; les mœurs comme la garantie des lois et le gage de sa propre durée. 228

Ainsi, hommes politiques comme citoyens voient dans la religion une force de cohésion qui permet à la démocratie de vivre et fructifier.

Le contexte de guerre froide et la « Chasse aux Sorcières » participent également à ce renouveau de patriotisme, qui se traduit par une réassertion de la religiosité face à l’athéisme des communistes. En 1954, Eisenhower déclare : « Our government makes no sense unless it is founded on a deeply felt religious faith – and I don’t care what it is. » 229 Cet utilitarisme, qui met la religion au service de la patrie, a également permis une réconciliation entre les différentes confessions et une acceptation croissante du catholicisme et du judaïsme. En 1960, J. F. Kennedy, premier président catholique des États-Unis, est élu.

La profondeur de ce retour de la religion dans la société américaine est controversé. Certains historiens, tels R. N. Bellah, considèrent qu’il s’agit d’une religiosité purement superficielle :

‘ By all the measures of conventional religiosity the early 1950s had been a period of religious revival, but the revival of the fifties proved to be as artificial as the cold-war atmosphere that may have fostered it. The sixties saw a continuous drop in church attendance and a declining belief in the importance of religion, as measured by national polls. 230

J. McLoughlin, quant à lui, voit dans cette période un « Grand Réveil Religieux », dont la signification a souvent été mal comprise :

‘ This current symposium […] indicates that the doubters of 1950 essentially misunderstood the real nature of America’s new wave of revivalism; it was nothing short of a Great Awakening. The postwar “turn to religion,” which almost all the contributors in this volume accept both as fact and as a positive good, went much deeper and wider than prayer breakfast, mass evangelistic campaigns, and anti-Communist crusades. It constituted a general re-orientation of the whole social and intellectual climate of Western society, just as America’s previous Great Awakenings had done. 231

Des éléments novateurs apparaissent au cœur de ce réveil de la religion dans son aspect le plus traditionnel. Par exemple, le succès de Norman Vincent Peale, qui publie en 1952 The Power of Positive Thinking. Ce petit livre devient très vite un succès national, au point que S. Ahlstrom déclare : « Il fut aussi important pour le renouveau religieux des années 1950 que fut George Whitefield pour le Grand Réveil du XVIIIème siècle. » 232 Cependant, dans son ensemble, le renouveau de religiosité des années 1950 fut au service d’un conformisme de plus en plus répandu, dans le même temps qu’au niveau politique, la lutte anti-communiste permettait de faire taire tous les indésirables ou les opposants.

Notes
227.

M. E. Marty « The Spirit’s Holy Errand: The Search for a Spiritual Style in Secular America » in R. N. Bellah, W. G. McLoughlin, Religion in America p. 167.

228.

A. de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, pp. 42-43

229.

Christian Century 71 (1954), cité dans S. Ahlstrom, A Religious History of the American People, p. 954.

230.

R. N. Bellah « New Religious Consciousness and the Crisis in Modernity » in R. N. Bellah, C. Y. Glock, The New Religious Consciousness, p. 339.

231.

R. N. Bellah, W. G. McLoughlin, Religion in America, p. x.

232.

S. Ahlstrom, A Religious History of the American People, p. 956, « He was as important for the religious revival of the fifties as George Whitefield had been for the Great Awakening of the eighteenth century. ».