Au niveau économique et social, le mot d’ordre de l’après-guerre était « consommation ». Pour être un bon Américain, et participer à l’effort de reconstruction, et parvenir à relancer l’économie, le signe de patriotisme le plus grand était tout simplement d’acheter. Le chômage avait atteint 7,7%. Au niveau politique également, la consommation est d’autant plus importante qu’elle marque un engagement pour l’économie capitaliste : elle devient donc un acte engagé.
La pauvreté liée au chômage et à la récession de 1954 reste l’affaire des classes sociales défavorisées, touchant essentiellement les Afro-américains, les Amérindiens, les immigrants mexicains et de plus en plus les personnes âgées. La classe moyenne, par contre, voit son confort de vie s’accroître avec les développements de l’électroménager et de l’industrie des loisirs, tendances déjà engagées dans les années 1920 et 1930 mais que la prospérité économique vient raviver.
Le « baby boom » de l’après guerre, avec un taux de natalité qui atteint 24,1 p. 1000 en 1950 et 25,0 p. 1000 en 1955 233 , participe aussi à cette croissance. A l’explosion démographique correspond également une valorisation de la place de l’enfant dans la société, et en conséquence d’une certaine vision de la famille :
‘ The boom seemed to revitalize the traditional family, one in which father worked and mother tended the home. Many women returned home after moving into the wartime work force, and younger women began marrying straight out of high school and college – or sometimes while still in school. Popular culture, political rhetoric, and social science alike called on adults to see the nuclear family not only as the best vehicle for personal happiness but also as a serious contribution to the nation's well‑being. 234 ’Dans les années 1950, époque que Steigerwald appelle « the Golden Age of the nuclear family », l’équilibre familial se construit autour des enfants, en particulier pour les femmes dont le rôle de mère est valorisé. Le développement harmonieux des enfants est l’objectif principal de la famille, et ce dans une insularisation croissante – bien qu’ultimement vouée à l’échec – du monde utilitariste de l’entreprise :
‘The child‑centered home of fifties lore was thus very much like the companionate marriage in that both were exaggerated efforts to salvage intimacy in a bureaucratic, impersonal world. Both, in other words, were advanced as antidotes to alienation. In the absence of supportive communities, however, the family was left to carry the impossible burden of insulating its members from mass culture. 235 ’L’éducation voit son poids renforcé, tout d’abord pour des raisons économiques : les nouvelles technologies et une économie de plus en plus complexe nécessitent de faire appel à des diplômés ; ensuite la guerre froide de la course à l’armement, se développe par la conquête spatiale lorsqu’en 1957 l’Union Soviétique lance le satellite Spoutnik. En conséquence, on voit dans les écoles, une nouvelle insistance sur les mathématiques et les sciences, et une augmentation de la population universitaire qui aboutira à faire de la génération du baby-boom une classe d’âge plus instruite que celle de ses parents.
Avec l’amélioration du niveau de vie de la classe moyenne, les inégalités se creusent et les injustices deviennent de plus en plus criantes. Alors que pour une partie de la population, les idéaux inscrits dans la constitution américaine (« la poursuite du bonheur ») semblent plus proches que jamais, pour les plus défavorisés même les droits fondamentaux ne sont pas respectés :
‘As Kennedy delivering his call for national sacrifice, white supremacy held firm in the South. African Americans in the South were all but disenfranchised; in some counties in Mississippi and Alabama no blacks had voted in the entire twentieth century. Those who questioned the system were often murdered. The nation's record of race relations elsewhere was not much better. Throughout U.S. society, male supremacy held. Women were denied basic equality in the workplace and were assumed to be domestic creatures. 236 ’Le Christianisme évangélique constitue, selon des historiens comme D. Chappell 237 , l’un des moteurs de la réussite du mouvement pour les droits civiques. D’une part, au sein des églises noires – qui offraient déjà un espace permettant à leurs membres d’exercer des rôles que la société leur refusait – se développe un « leadership » inspiré d’une rhétorique prophétique de révélation biblique. D’autre part, les églises blanches n’ont pas manifesté de forte opposition à la déségrégation. La Convention Baptiste du Sud condamna la ségrégation dès le début des mouvements pour les droits civiques, s’appuyant sur les principes bibliques égalitaires du christianisme. Les églises ségrégationnistes du Sud, quant à elles, manquaient d’arguments théologiques pour s’opposer explicitement au mouvement des droits civiques.
C’est au niveau de la politique sociale et notamment raciale que se font sentir les prémices de l’agitation politique de la décennie suivante. La NAACP 238 est active depuis déjà une quinzaine d’années dans une bataille législative pour mettre fin à la ségrégation. Thurgood Marshall, à la tête d’une équipe d’avocats, finit par obtenir gain de cause en 1954, dans Brown versus Board of Education of Topeka, lorsque la cour rend sa décision : « les structures éducatives ségréguées constituent une inégalité intrinsèque ». 239
En 1955, une étape est franchie lorsque, suite au refus de Rosa Park, une Afro-américaine, de se déplacer à l’arrière d’un bus pour faire place aux voyageurs blancs (à Montgomery, Alabama), un boycott généralisé des transports en commun rencontre un succès fulgurant. A Little Rock, en Arkansas, en 1957, Eisenhower se voit contraint d’envoyer les troupes fédérales pour faire appliquer la déségrégation à l’école : c’est un nouveau jalon dans l’implication fédérale dans l’application des droits civiques.
source : Bernhard et al, First-Hand America : A History of the United States, 1991, p. 883.
D. Steigerwald, The Sixties and the End of Modern America, p. 247.
D. Steigerwald, The Sixties and the End of Modern America., p. 252.
Ibid., p. 1
D. Chappell, A Stone of Hope, 2004.
« National Association for the Advancement of Colored People », Association Nationale pour la Promotion des Gens de Couleur, qui fut très militante dans les questions d’égalité raciale et les mouvements de droits civiques.
Brown v. Board of Education of Topeka, 1954 : « separate educational facilities are inherently unequal ».