Au cœur du conformisme des années 1950, où l’ordre moral est défendu par la censure, apparaissent des signes précurseurs de la révolution contreculturelle. Le mouvement « beatnik », parti de San Francisco et de Greenwich Village, se construit autour d’artistes comme J. Kerouac ou A. Watts.
Les beatniks sont tout d’abord des rebelles, qui affirment leur opposition et leur dénigrement des valeurs bourgeoises, et fuient une vie de routine que leur promet la fameuse « société de l’entreprise ». Leur rejet du mode de vie de la classe moyenne se traduit par l’adoption du langage du ghetto afro-américain et le choix de l’errance. Les beatniks se démarquent également de la morale étriquée et conventionnelle, s’émancipent des codes sociaux, du travail comme obligation et source de reconnaissance sociale, fuient la société de consommation. Cette libération fait souvent appel à un processus créatif et/ou artistique, et à un libertinage précurseur de la libération sexuelle.
Au niveau religieux, le rejet des religions traditionnelles se fait au profit du mysticisme et d’un intérêt pour la spiritualité orientale et en particulier le zen*, avec l’impulsion donnée par A. Watts :
‘The interest in the East began with Alan Watts, a one‑time Protestant clergyman who began to popularize an easygoing brand of Zen Buddhism in the 1950s. Watts claimed that Zen did away with artificial distinctions that prevented people from living a "real" life. Where Christianity distinguished between daily life and salvation, between the soul and its surroundings, Zen was concerned with "what is." Watts, too, sought a "unified" person that was "one process in an infinite number of processes, all of them working together in harmony." Like Norman Brown, he believed that the world was in terrible shape because the wrong mind‑set had captured it. Those given to "puritan pomposity," he claimed., "act from the feeling that man is separate from the natural universe‑either pushing it around or being pushed around by it." 240 ’J. Kerouac expose et fait l’éloge d’un nouveau mode de vie dans des romans semi-autobiographiques, par exemple On the Road, écrit en 1955. Les éléments principaux sont l’errance et la mobilité géographique en auto-stop ou à pied, la musique afro-américaine et en particulier le jazz, la découverte de drogues douces comme la marijuana et de courants religieux comme le zen. Le marginalisme, l’opposition à l’autorité traditionnelle, le rejet des valeurs de la société sont des traits essentiels, qui se manifestent dans un véritable éloge du désœuvrement :
‘It was a completely meaningless set of circumstances that made Dean come, and similarly I went off with him for no reason. 241 ’ ‘We wandered in a frenzy and a dream. We ate beautiful steaks for forty-eight cents in a strange tiled Mexican cafeteria with generations of marimba musicians standing at one immense marimba – also wandering singing guitarists, and old men on corners blowing trumpets. […] Nothing stopped; the streets were alive all night. Beggars slept wrapped in advertising posters torn off fences. Whole families of them sat on the sidewalk, playing little flutes and chuckling in the night. Their bare feet stuck out, their dim candles burned, all Mexico was one vast Bohemian camp. […] This was the great and final wild uninhibited Fellahin-childlike city that we knew we would find at the end of the road. Dean walked through with his arms hanging zombielike at his sides, his mouth open, his eyes gleaming, and conducted a ragged and holy tour that lasted till dawn [...] 242 ’La passivité, le désœuvrement et le détachement deviennent les mots d’ordre, aussi pour des poètes « beats » comme Allen Ginsberg et Gary Snyder, et une partie de la jeune génération s’inspire de ce nouveau « style ».
D. Steigerwald, The Sixties and the End of Modern America, p. 176.
J. Kerouac, On the road, p. 116
Ibid., pp. 301-302