Les communautés d’Esalen et de Findhorn

Pendant la première moitié du XXème siècle, la psychologie a été partagée par deux écoles principales, psychanalyse (Freud) et béhaviorisme (Skinner). Les premiers considèrent que l’homme est sous l’influence de forces subconscientes, conditionnées de manière irréversible par la société ; les seconds voient l’homme pris dans une chaîne mécanique de stimuli et réponses. C’est en réaction à ces écoles que fut fondée la psychologie humaniste, dont Abraham Maslow* était l’un des pionniers. L’un des principaux éléments de sa théorie était le retour de la liberté humaine dans les processus psychologiques. La psychologie humaniste est également la seule à intégrer une dimension mystique et spirituelle, qui ait une vision autre que purement fonctionnaliste de la religion. En ce sens, elle deviendra un élément fondamental du New Age, et en particulier des Mouvements du Potentiel Humain (cf. infra, Chapitre III. B. 2.).

A partir de 1962, la communauté d’Esalen, en Californie, devient un haut lieu de la psychologie humaniste, ainsi qu’un point de convergence pour scientifiques, psychologues et artistes intéressés par une vision plus large de l’homme que ne propose la science traditionnelle. A. Maslow, Carl Rodgers, Allan Watts et Carlos Castaneda, entre autres, y feront un séjour.

R. Kyle décrit l’orientation que prend la psychologie humaniste à Esalen :

‘Humanistic psychology attempts to scientifically study healthy people. Its focus is not on treating the mentally ill, but on helping the well improve themselves. Several methods can be used to help people achieve their greatest potential, but John Mann singles out twoconcepts. First is the “peak experience,” which Maslow defined as “a generalization for the best moments of life, for experiences of ecstasy rapture, bliss or greatest joy.” These experiences help the individual to transcend the psychological barriers to self‑improvement. Second is the “life force,” which emphasizes the release and flow of vital energy. This flow of energy has many names, but it occupies an important place in the New Age. 259

C’est également en 1962 que dans le Nord de l’Écosse, sous l’initiative de Peter et Eileen Caddy, se développe la communauté de Findhorn, qui constitue le berceau européen du New Age. Cette communauté part d’un nouveau principe d’agriculture, qui consiste à « communiquer » avec l’esprit des plantes (les « dévas »*) afin de mieux pouvoir les nourrir. Le succès étonnant de cette méthode attira une foule de membres de la contreculture intéressés par une vision planétaire et écologique, et en quelques années Findhorn devint un véritable centre, dont l’éclectisme et la renommée n’avaient rien à envier à la communauté d’Esalen :

‘ Most prominent among these “light” groups was the Findhorn Community, established in northern Scotland in 1965. Findhorn became “the first full embodiment of a wide variety of New Age ideals, including its attunement to nature spirits, channeling, and the articulation of a self‑conscious New Age ideology.” Findhorn attracted a number of early New Age leaders, including David Spangler, who resided there for several years. 260

Dans les années 1960, un renouveau d’intérêt pour l’organisation sociale qu’est la communauté utopique du XIXème siècle (dont les « Shakers », par exemple) se manifeste. La communauté apparaît comme modèle alternatif au modèle familial classique, dénoncé comme agent essentiel de la perpétuation d’une société utilitariste et déshumanisée. Ce nouveau mode d’organisation sociale permet d’insuffler un changement fondamental à la vie quotidienne, et en particulier dans l’éducation des enfants :

‘The most impressive‑sounding alternative offered by the radical critics of the nuclear family was the commune, of which there were an estimated 4,000 in North America by 1970. The commune had several virtues, according to its advocates. Housework and childrearing were shared. Sex was detached from power and dominance, because no one ruled in a commune. The commune did away with the feminine mystique because women did not have to live vicariously through the children, whereas the children could benefit from having a number of role models. The home would no longer be a battleground. 261

La quête d’un mode de vie réellement alternatif se réalise concrètement dans les communautés, qui offrent souvent une vision du monde spirituelle, voire religieuse.

Les années 1960 voient donc apparaître des critiques du mode de vie et des principes de la classe moyenne des années 1950. A des valeurs unifiées (idéal de la classe moyenne d’affluence, respectabilité, harmonie domestique, respect de l’autorité, patriotisme), succède une fragmentation de la morale et des discours d’autorité, et dans un mouvement de « balancier » après le conservatisme des années 1950, un renversement des codes moraux et sociaux. C’est à cette période que la pluralité de la société américaine est reconnue et valorisée.

Le syncrétisme joue un rôle central dans le New Age, comme dans la société américaine. Il est fondamental parce qu’il construit le New Age, mouvement qui se définit par une « agglomération » de fragments religieux, spirituels, philosophiques, et culturels ; tout comme dans la constitution historique des Etats-Unis. L’ouverture culturelle qui s’opère dans les années 1960 établit une nouvelle base : c’est le début de l’auto-définition de la société américaine comme une société plurielle. Le discours sur la tolérance, le relativisme, l’acceptation et la valorisation de la différence prend un nouvel essor. En dépit de cette évolution rhétorique, le syncrétisme n’est dans la nouvelle conscience pas toujours accompagné de tolérance et d’égalité, de même que dans la société en général, les discriminations opèrent selon des mécanismes plus complexes et plus difficilement repérables.

Notes
259.

R. Kyle, The New Age Movement in American Culture, pp. 62-63

260.

Ibid., pp. 64-65.

261.

D. Steigerwald, The Sixties and the End of Modern America, p. 254.