3. Sectes, gourous et escroqueries

L’engouement de la fin des années 1960 et des années 1970 pour la spiritualité orientale a aussi permis la diffusion du modèle gourou-dévôt au sein des Nouveaux Mouvements Religieux. Cette organisation non-démocratique a parfois prêté à des abus, et le développement de groupes de plus en plus nombreux, de plus en plus atypiques, de plus en plus médiatisés, a provoqué une prise de conscience et des réactions diverses au sein de la société traditionnelle.

Un certain nombre de scandales ont éclaté dans les années 1970, impliquant plusieurs groupes qualifiés de « sectes », et leurs dirigeants accusés de mauvaise gestion, de fraudes en tous genres, de manipulation et d’escroquerie. Par exemple, le groupe est* avait le projet d’éliminer la faim dans le monde en dix ans. M. C. Ernst décrit le principe de fonctionnement de ce « Hunger Project » :

‘Il ne s’agit pas seulement de sensibiliser l’opinion, mais de “transformer les mentalités” face au problème. est clame qu’il faut faire de la famine dans le monde une affaire de responsabilité individuelle – la notion de responsabilité collective étant facteur d’immobilisme. 266

Dans la pratique, cela se traduit par une action dirigée uniquement vers la communication et la publicité, que beaucoup qualifieront d’escroquerie. En effet, ce projet s’apparente à une manipulation d’un public crédule :

‘[…] pas un cent de l’argent récolté au cours de la campagne n’est adressé aux nations nécessiteuses ou aux organisations charitables qui travaillent sur le terrain. Tous les fonds levés dans le cadre du Projet sont reversés dans le Projet afin de promouvoir sa diffusion. ’ ‘Par cet ahurissant tour de passe-passe, est suit sa propre logique: puisque les transferts d’argent vers les pays pauvres ne changent rien à la situation, les sommes récoltées vont servir à transformer les mentalités, donc à créer un contexte d’où pourront être mis en pratique des remèdes véritablement efficaces. 267

De même, la Méditation Transcendantale* promettait dans les années 1960 d’enseigner la lévitation à ses pratiquants. L’Église de Scientologie* fait payer des sommes très importantes à ses clients pour un processus de « clearing » dont l’efficacité n’a jamais été prouvée. La Divine Light Mission* s’est pendant des années enfoncée dans une spirale de dépenses exponentielles, que seule pouvait absorber une croissance illimitée et semblablement exponentielle du nombre de fidèles.

D’autres gourous ont dû faire face à des accusations plus graves, d’escroquerie organisée et d’abus de pouvoir, notamment dans des scandales sexuels. Enfin, la tragédie de Jonestown en 1978, dont le souvenir sera ravivé ensuite par la catastrophe de Waco (1993), puis par les tragédies de la Secte Aum, du Temple Solaire, et de Heaven’s Gate, bien que ces groupes ne soient pas représentatifs de l’ensemble des Nouveaux Mouvements Religieux, ont régulièrement jeté le discrédit sur tous les mouvements, et parfois provoqué une stigmatisation qui perdure encore.

Pour R. Wuthnow, la réaction provoquée par ces excès caractérise la fin des années 1970 :

‘ The major development in the late 1970s with respect to the new religions was the emergence of a sweeping public reaction against them, resulting in several formally organized anti-cult movements. 268

La volonté d’un progrès spectaculaire de la société favorise la crédulité des participants, dans une décennie où les bouleversements de la société traditionnelle installent un climat d’ouverture d’esprit. Par ailleurs, il existe une théorie dans le New Age selon laquelle la prospérité constitue une manifestation de « l’état de grâce », au point que pour certains leaders, le pouvoir financier peut être recherché par tous les moyens. De tels abus se manifestent à toutes les périodes d’effervescence religieuse. S’ils demeurent marginaux en termes numériques, leur visibilité colore la perception de la spiritualité alternative en général.

Au cours des années 1970 se produit une véritable explosion de la spiritualité alternative, avec les richesses et les débordements que cela comprend. Le mouvement contreculturel constitue une remise en question du « modèle américain » tel qu’il se manifeste dans la classe moyenne des années 1950. La religiosité alternative, en ce qu’elle s’inspire de mouvements issus d’autres cultures, permet de sortir de la culture américaine, et dans le même temps offre un cadre à la recherche d’expériences plus totales – pour beaucoup, l’expérience mystique est dans la continuité des états de conscience altérés produits par les drogues. Aux prémices du New Age, il y a la quête du dépassement de la société moderne, et la contreculture, dans un premier temps une crise de l’américanité, se transforme en un élargissement des valeurs de la société. L’optimisme de cette période – lié à la capacité de transformation de la culture – se traduit également dans le Mouvement du Potentiel Humain, qui cherche à explorer le potentiel de l’homme, potentiel que certains estiment illimité.

Notes
266.

M. C. Ernst, Le mouvement religieux contreculturel, p. 424.

267.

Ibid., p. 425.

268.

R. Wuthnow « Religious movements and counter-movements in North America » in J. Beckford, New Religious Movements and Rapid Social Change, p. 17.