2. Chamanisme mondial

Cependant, si le manque de recul historique ne permet pas vraiment de confirmer ou d’infirmer la théorie de la mort du New Age, de nouvelles tendances au sein du New Age incitent à penser que le mouvement subit plutôt une mutation, comme cela a déjà été le cas plusieurs fois. Dans les années 1990, les participants ne sont certes plus aussi enthousiasmés par le phénomène de « channeling » ou par les cristaux (que l’on associe le plus souvent au New Age), mais les thèmes du néo-paganisme, d’éco-féminisme, et l’étude de la Kabbale, ainsi que les pratiques du Feng-Shui* ou du Reiki* semblent avoir pris le relais. Cette transformation perpétuelle masque l’unité du mouvement dans le même temps qu’elle le caractérise. Le mouvement se définit donc non pas par des pratiques mais par un rapport au monde et au sacré. Il embrasse la nouveauté, et les années 1990 voient par exemple un nouvel engouement pour les pratiques chamaniques, qui proposent un lien entre les traditions indigènes des cinq continents.

Les praticiens du New Age (masseurs, kinésithérapeutes, channels, clairvoyants, chiropracteurs*, conseillers, enseignants, médecins, etc.) qui dans les années 1990 finissent par offrir une alternative à la médecine classique sur l’ensemble du territoire américain, s’identifient au personnage du chaman. Le lien qu’ils créent ou reconnaissent avec ce corpus de traditions confère légitimité et authenticité au mouvement, de plus il permet aux praticiens de trouver un lien direct entre les services qu’ils offrent (l’aspect commercial de leur travail), et une vision plus spirituelle. En effet, on peut établir plusieurs parallèles entre les praticiens de la nouvelle spiritualité et les chamans traditionnels. Pour les uns comme les autres :

- il s’agit de faire appel à des forces extérieures au praticien (que ces forces soient des esprits ou des entités « channelées ») ;

- le lien avec la nature est source d’inspiration symbolique ;

- il peut être source de remèdes physiques ;

- la guérison est effectuée dans un moment plus ou moins ritualisé, où le chaman se met volontairement dans un état de conscience altéré, comme le remarque J. A. English-Lueck :

‘The special perception of the holistic health practitioner bears a resemblance to the milder forms of shamanistic trance. Like shamanism, the trances can vary from meditation to ecstatic revelations. Empathy and close rapport promote a meditative state, while invoked sexuality produces a more dramatic reaction in the client. These states are experienced intensively as a client-in-training and then with more control as a practitioner. 283

- la guérison consiste, non pas à traiter des symptômes, mais à rétablir un équilibre cosmique, à créer un lien entre le patient et l’univers.

L’interprétation du chamanisme, dans sa polymorphie culturelle, se prête également à des adaptations très libres. Le mouvement techno-chamaniste est un exemple de cette adaptabilité. Dans le cadre de ce mouvement, une culture informatisée est reliée aux traditions tribales et rurales, comme le relève D. Green :

‘Technoshamanic culture has, for example, digitised tribal beats, chants and sounds from the rainforests; replaced psychotropic 'teacher plants' with synthesised highs in the form of amphetamines, LSD and Ecstasy; substituted the dances of the Whirling Dervishes with raves; and, swapped ritual bonfires with the 'magically' transformative gazes of the strobe, and internet images and computer-generated fractals which are projected onto the walls of the venue. 284

Cette interprétation large du chamanisme lui assure un succès considérable, au point que de nombreux courants du New Age se l’approprient. Cependant, les anthropologues du chamanisme soulignent que cette dernière tradition n’est pas aussi diluée que les pratiques New Age. En particulier, l’apprentissage des chamans se fait traditionnellement dans une transmission de maître à disciples, et s’inscrit dans le temps (c’est parfois la moitié d’une vie qui y est consacrée). Dans le New Age par contre, les enseignements sont transmis souvent de manière collective, sur une initiative de l’élève, et dans un temps relativement court (de quelques semaines à quelques années).

Notes
283.

J. A. English-Lueck, Health in the New Age, p. 146.

284.

D. Green, “Technoshamanism: Cyber-sorcery and schizophrenia”, 2001 International Conference in London -- CESNUR website.