Pour les membres du New Age, l’histoire n’est souvent qu’une science parmi d’autres. A ce titre, elle est l’objet d’une méfiance profonde. Les historiens, tout comme les scientifiques, sont réputés avoir une vision du monde fortement conditionnée par la société paternaliste. De plus, le New Age, qui se définit tout d’abord par sa nouveauté, a une relation parfois conflictuelle avec le passé, l’histoire et la mémoire.
Dans le New Age, le passé revêt une valeur spécifique. C’est le cas dans les écrits de M. Ferguson, qui dans The Aquarian Conspiracy – considéré comme le manifeste du New Age – consacre un chapitre à énumérer les précurseurs historiques de la « Conspiration du Verseau ». Les grands penseurs de la nouvelle ère commencent avec Eckhart, Pic de la Mirandole, Boehme, Swedenborg*. La liste continue : W. Blake, les transcendantalistes, N. Kazantzakis, H. G. Wells, C. Jung, Teilhard de Chardin*, A. Toynbee, H. Miller, C. S. Lewis, A. Maslow*, sont parmi les plus connus. 287 Cette liste hétéroclite témoigne du caractère « bricoleur » du New Age, qui emprunte une théorie, une idée, une sensibilité, ou une vision à chacun sans se soucier de la globalité des systèmes qu’ils défendent, parfois diamétralement opposés, ni du contexte historique.
Par ailleurs, le New Age professe une volonté de rupture avec les traditions, qu’elles soient religieuses ou scientifiques et technologiques. Cela se ressent en particulier dans l’accent qui est mis sur le « ici et maintenant » (here and now), véritable mot d’ordre des participants de la « nouvelle conscience ». La nouvelle religiosité manifeste donc une certaine méfiance à l’égard de tout ce qui est « ancien ». Ses participants espèrent apporter des solutions contemporaines aux problèmes contemporains. Zaretsky et Leone remarquent :
‘These groups share a common notion of time and view towards history. Most of these groups and their members do not recount their historical roots. The churches always emphasize their newness as a religion. Most of the participants want to stress the difference between their present and their past, not the continuities. The historical aspect is tied to the fact that these groups attempt to demonstrate that they can answer the existential conditions of man in the present, and, in fact, are uniquely suited to answer the problems of the present. It is considered disadvantageous to refer to past existence because it might give the illusion that the group has derived its answers from the past and is no more attuned to the present than the institutional churches. 288 ’Cette rupture avec le passé est interprétée par certains sociologues comme un rejet de l’histoire. Ainsi, H. H. Bro note :
‘ For New Agers have been so busy rejecting established Western traditions, in favor of the novel, or the exotically ancient, or the supposedly Eastern or native American, or the airily higher in consciousness, that they typically step out history rather than continue it in a new epoch. 289 ’L’histoire revendiquée et incorporée au patrimoine New Age est déplacée de celle de l’occident à celle de l’orient et des peuples indigènes, dans une solution de continuité assumée. Ce n’est pas l’histoire en tant que telle qui est refusée, mais le déterminisme qu’elle implique, notamment au niveau de la constitution de l’identité. La tendance à mettre l’accent sur les racines du/des mouvement(s) indique également un phénomène plus complexe qu’un rejet franc et généralisé de l’histoire. En ce sens, D. Hervieu-Léger propose un concept qui peut s’avérer utile, celui de la généalogie imaginaire :
‘To make progress in this direction, it seems possible to emphasize the reference to the legitimating authority of a tradition as a general and distinctive characteristic of religious belief. From this ideal-typical point of view, any ‘religion’ implies, and calls into existence, a believing community which is both a concrete social group (the organizational forms of which can be very diverse, from the most informal to the most formal), and an ‘imaginary genealogy’, which maps out the succession of generations of believers in the past and in the future. 290 ’Cette construction d’une généalogie imaginaire est d’ailleurs à l’œuvre dans toute création de type millénariste. S’il est vrai que le New Age néglige le passé en tant qu’histoire, il se le réapproprie en tant que mémoire, et c’est d’ailleurs là l’un des principaux signes de reconnaissance des New Agers.
M. Ferguson, The Aquarian Conspiracy, pp. 45-65.
M. Leone and I. Zaretsky (ed.), Religious Movements in Contemporary America, 1974, pp. xxviii-xxix.
H. H. Bro, “New Age Spirituality: A Critical Appraisal”, (pp. 169-195) in D. Ferguson (ed.), New Age Spirituality: An Assessment, 1993, p. 171.
D. Hervieu-Léger, “Secularization, Tradition and New Forms of Religiosity: Some Theoretical Proposals”, (pp. 28-44) in E. Barker and M. Warburg (eds.), New Religions and New Religiosity, p. 35.