2. Les conditions du développement des Nouveaux Mouvements Religieux et du New Age

Tout Nouveau Mouvement Religieux, pour assurer sa pérennité, doit atteindre une taille suffisante (nombre de membres) en quelques générations. En effet, les éléments de croissance et les arguments de recrutement de ces mouvements dans leurs années de formations sont totalement spécifiques : le charisme joue un rôle prépondérant, l’attirance est fonction d’un contexte social particulier, et le recrutement cible souvent une partie de la population (classe d’âge, sexe, classe sociale, ethnicité…). L’accroissement du nombre de membres dépend de la création (ou l’existence) de liens interpersonnels avec population extérieure.

Passé les premières générations, l’élément charismatique disparaît (mort du fondateur, ou alors les fondateurs – personnalités charismatiques – sont de plus en plus concentrées sur les liens au sein du mouvement et ne peuvent continuer de développer des liens avec l’extérieur), les contextes sociaux-politiques sont susceptibles d’évoluer, et le mouvement continue sa croissance de deux façons : en élargissant sa base, c’est-à-dire en perdant son appel pour une population spécifique au prix d’une acceptabilité pour la société dans son ensemble ; et en tablant sur la croissance naturelle (naissances au sein du mouvement).

Le recrutement par connaissance personnelle entre les membres du mouvement et l’extérieur est de moins en moins fréquent et facile dans la mesure où les membres ont plus tendance à recréer leur cercle de connaissances au sein du mouvement (par exemple, les familles des membres, soit sont recrutées à leur tour, soit rompent tous les liens). En conséquence, les Nouveaux Mouvements Religieux qui recrutent parmi des populations déjà aliénées et donc peu intégrées, ont peu de chances de parvenir à atteindre cette taille critique. R. Stark a élaboré une liste des conditions qui permettent aux Nouveaux Mouvements Religieux de survivre :

‘New Religious Movements are likely to succeed to the extent that they: ’ ‘1. Retain cultural continuity with the conventional faiths of the societies in which they appear or originate.’ ‘2. Maintain a medium level of tension with their surrounding environment; are deviant, but not too deviant.’ ‘3. Achieve effective mobilization: strong governance and a high level of individual commitment.’ ‘4. Can attract and maintain a normal age and sex structure.’ ‘5. Occur within a favorable ecology, which exists when:’ ‘ a. the religious economy is relatively unregulated;’ ‘ b. conventional faiths are weakened by secularization or social disruption;’ ‘ c. it is possible to achieve at least local success within a generation.’ ‘6. Maintain dense internal network relations without becoming isolated.’ ‘7. Resist secularization.’ ‘8. Adequately socialize the young so as to:’ ‘ a. limit pressures toward secularization;’ ‘ b. limit defection. 306

Si l’on applique cette grille d’analyse au New Age, on constate que sur la plupart des points, le mouvement semble réunir les conditions nécessaires à sa survie. La continuité culturelle, nous l’avons vu (cf. supra, Chapitre I.), est assurée parce que le mouvement se situe dans la lignée de mouvements clés de l’histoire américaine, tels que le transcendantalisme, le Penser Nouveau, les religions orientales, la tradition contreculturelle et la tradition de religion harmonique. Le niveau de tension avec la société oscille entre le sensationnalisme de pratiques irrationnelles et l’adoption de modes de fonctionnement largement répandus (cf. infra, Chapitre VII. C.) La composition démographique (âge et sexe), même si le mouvement attire nettement plus de femmes que d’hommes, tend à s’équilibrer (cf. infra, Chapitre IV. B. 2.). L’environnement culturel depuis les années 1960 est justement caractérisé par un déclin des religions traditionnelles, et une libéralisation culturelle. L’importance et le foisonnement des relations en réseau (cf. infra, Chapitre VIII. C. 2.) est une des caractéristiques fondamentales du New Age. En sorte que les deux menaces à la survie du mouvement sont les points (3) et (7), à savoir, l’absence d’investissement personnel fort motivé par un/des dirigeant(s) efficace(s), qui font du New Age un mouvement fluide, qui tend à se dissoudre dans la société en général, et le rendent particulièrement sujet à la sécularisation.

Par ailleurs, J. G. Melton constate que la période critique pour les religions alternatives est la première décennie d’existence :

‘While a few nonconventional religions do in fact come and go quickly – 30 of the 216 groups formed in the 1970s have already ceased to exist – and while most pass through unstable phases, especially in their first generation, the great majority of those that survive the first decade continue to become stable organizations with a lasting place in the religious ecology of their communities. 307

Dans le New Age, cette première étape est franchie dès la fin des années 1980, et la maturité semble avoir été atteinte. La survie du mouvement paraît donc assurée. En revanche, c’est l’intégrité du mouvement et sa religiosité qui sont mises en question. Le risque pour le New Age n’est plus de se faire rejeter de la société mais de s’y intégrer au point d’y disparaître.

Notes
306.

W. S. Bainbridge, The Sociology of Religious Movements, 1997, p. 411.

307.

J. G. Melton, “Another Look at New Religions,” May 1993, ANNALS, AAPSS, p. 103.