1. Nombre de participants au New Age et diffusion des croyances dans la société

L’analyse démographique est à la fois l’un des aspects les plus « objectivables », et à la fois l’un des aspects les plus élusifs. En effet, avant de pouvoir dénombrer les participants, il faut savoir les reconnaître, les identifier, et les définir. Or, c’est justement ce qui fait problème dans l’étude du mouvement New Age.

L’étude des Nouveaux Mouvements Religieux permet de contourner ce problème, mais elle peut donner une vision faussée, voire inversée, du domaine d’étude. En effet, si le New Age attire principalement des individus qui ne s’accommodent pas de la structure spécifique de ces mouvements et groupes, alors la démographie des Nouveaux Mouvements Religieux sera le négatif, l’image inversée de celle du New Age. Cependant, s’il y a effectivement deux grands axes d’interprétation démographique, le clivage ne se fait pas entre les spécialistes du New Age d’une part et ceux des Nouveaux Mouvements Religieux d’autre part, mais plutôt au sein de l’ensemble des spécialistes du New Age (dans la lignée de J. G. Melton, certains présentent les membres du New Age comme des individus au statut socio-culturel privilégié, cependant que C. Albanese, D. Mears et C. Ellison esquissent un portrait très différent). Nous allons donc nous attacher à comprendre les façons dont les différents auteurs sont parvenus à leurs conclusions respectives. La question principale qui se pose dans le cadre d’une enquête statistique du New Age, est de parvenir à identifier les participants, difficulté augmentée par le fait que les désignations sont très controversées. En effet, outre les connotations de mercantilisme et de superficialité associées au terme « New Age », certains rejettent toute appellation mettant l’accent sur la nouveauté. Ainsi, « Nouvelle Conscience », « Nouvelle Spiritualité », « Nouveaux Mouvements Religieux » sont également dédaignés, sous prétexte qu’ils ne rendent pas justice à l’ancienneté des traditions. Une autre proposition, « Spiritualité Alternative » est également écartée car les participants se revendiquent plus « universels » qu’ « alternatifs ».

Trois solutions principales s’offrent aux chercheurs : les études des croyances (au paranormal, à la réincarnation, etc., par exemple les statistiques Gallup) ; les études de consommation (identifier les consommateurs de certains produits New Age, notamment les livres, magazines, mais aussi l’aromathérapie* ou autres) ; et les études de participation (interroger les participants de tel ou tel mouvement, les clients des praticiens New Age, les pratiquants de certaines activités). Cette dernière est largement majoritaire, et ce d’autant plus qu’elle fonctionne selon les même principes que les études portant sur les Nouveaux Mouvements Religieux, qui ont été très développées et très complètes. Cependant, leur principal inconvénient est de ne porter que sur les participants les plus investis et les plus visibles.

L’étude de F. Bird et W. Reimer à Montréal (« Participation Rates in New Religious and Parareligious Movements », in E. Barker, Of Gods and Men), par exemple, porte sur les Nouveaux Mouvements Religieux. Cependant, elle met en évidence le fait que la plupart des membres de ces mouvements le sont de manière transitoire (« transitory affiliates »). Ces personnes présentent une sensibilité aux thématiques de la spiritualité contreculturelle, et participent du caractère expérimental du New Age. Ils appartiennent à ce que C. Campbell qualifie de « cultic milieu », qui constitue un véritable réservoir pour les Nouveaux Mouvements Religieux. La ville de Montréal est un pôle de la spiritualité alternative, au même titre que celle de San Francisco, et présente des taux de participation similaires :

‘Survey data collected in Montreal indicate that a surprisingly high proportion of the adult population has participated in New Religious and Parareligious Movements (somewhere between one-fifth and one-fourth of the population), but that most persons who do participate become involved only for a short time and then drop out. 309

Le chiffre cité rejoint les résultats plus récents des études de consommation et de croyances. L’étude de consommation dont nous avons connaissance 310 , celle menée par C. Ellison et D. Mears, tend à présenter les membres du New Age comme issus des classes populaires. Selon les auteurs, 22% des personnes sondées affirment avoir acheté des « produits New Age » au cours de l’année passée, proportion relativement constante d’une étude à l’autre, de personnes qui manifestent une attirance et une sympathie pour une ou plusieurs des théories et/ou des pratiques du New Age.

Par exemple, un sondage Gallup estime que 25% des Américains croient en la réincarnation en 2001 (cf. Tableau 2, ci-dessous). Les proportions sont d’ailleurs étonnement élevées pour l’ensemble des phénomènes paranormaux. Ce sondage met également en lumière le fait que toutes ces croyances sont en progrès depuis dix ans, sauf la croyance à la télépathie (stationnaire) et à la possession (en déclin). Nous constatons également deux rythmes différents de croissance pour des croyances différentes. Toutes les croyances de type « Halloween », qui sont popularisées par des séries télévisées comme « Francs-maçons » ou « The X Files », ou encore « The Adams Family » (croyance aux sorcières, aux fantômes, à la communication avec l’esprit des morts, aux maisons hantées) ont augmenté de 10 à 13 points en 10 ans. Les croyances de type New Age (channeling, réincarnation, astrologie, clairvoyance et extra-terrestres) ont augmenté de manière moins spectaculaire (de 3 à 6 points) mais assez homogène.

Tableau 2. : Diffusion des croyances alternatives
Tableau 2. : Diffusion des croyances alternatives

(Source : Sondage Gallup)

Plus récemment, une nouvelle approche du champ religieux américain se dessine, qui se penche sur le phénomène de la « religiosité hors église » ou « sans église » (Unchurched spirituality), ainsi que sur le mysticisme (P. Hammond, R. Wuthnow, R. Ellwood, notamment). Cette approche permet souvent de découvrir des « croyants » beaucoup moins visibles. Dans quelle mesure le New Age et la spiritualité sans église recouvrent-ils les mêmes réalités ? Cette forme de religiosité a une importance numérique considérable, que l’on peut d’après le sondage Gallup, estimer à environ 32% de la population américaine (dans la mesure où 88% déclarent que la religion est « très importante » ou « assez importante » dans leur vie, mais dans le même temps seulement 56% qui font effectivement partie d’une église). Dans cette optique, il semble utile de déterminer la place du New Age dans la religiosité « sans-église ».

D’une part, le refus du dogmatisme et de la hiérarchie implicite dans ce type de position religieuse le rapproche considérablement du New Age. Cependant, on peut supposer qu’une partie de ces 32% de « sans église » ne l’est que de manière transitoire (déplacement géographique), et qu’une autre partie n’adhère absolument pas aux contenus théologiques du New Age. Inversement, un certain nombre de New Agers n’entrent pas dans cette catégorie, puisqu’ils fréquentent une église de manière régulière.

En somme, si les « sans églises » et New Agers ne se recoupent pas exactement, il reste qu’au niveau de la structure leurs fonctionnements sont identiques. Les études menées sur le premier phénomène, notamment au niveau de la compréhension démographique et structurelle, et du processus de détachement de la norme en matière de religion, nous seront fort utiles. La popularité croissante de la spiritualité sans église et du paranormal sont deux évolutions contemporaines qui constituent un contexte favorable à l’épanouissement des théories du New Age.

Notes
309.

F. Bird et W. Reimer, « Participation Rates in New Religious and Parareligious Movements », in E. Barker, Of Gods and Men , p. 216.

310.

Les autres études de consommation sont souvent issues de sondages menés par des magazines New Age, comme par exemple l’étude du New Age Journal, citée par L. Wilson (dans « The Aging of Aquarius », in American Demographics, vol. 10, sept 1988). Ces études sont souvent moins exhaustives et ne permettent pas d’évaluer la diffusion du New Age au sein de la société.