Les Nouveaux Mouvements Religieux recrutent différemment selon l’âge de leurs recrues potentielles. On constate dans l’ensemble que les Nouveaux Mouvements Religieux dits « world-rejecting » (selon la classification de R. Wallis 311 , cf. supra, Chapitre IV. A. 1.) attirent en particulier des jeunes. Cela s’explique du fait que ces religions sont très exigeantes, et qu’elles demandent de leurs membres une implication totale. Cependant, les mouvements dits « world-affirming » ont tendance à recruter parmi une population plus âgée, d’une part parce que les services qu’ils proposent sont plus souvent payants, et d’autre part parce qu’ils se révèlent beaucoup moins exigeants envers leurs membres. Faire partie d’un tel mouvement s’avère donc compatible avec une vie de famille, un emploi, etc.
Dans le New Age, il est généralement accepté que les participants sont, pour la majeure partie, issus de la génération du baby-boom. Cependant, cette affirmation, corroborée par de nombreux chercheurs (Heelas, Melton, etc.) est récusée par les études de consommation et notamment celle qui a été menée par C. Ellison et D. Mears 312 . Quel que soit l’âge des New Agers, une classe d’âge homogène peut provenir de deux facteurs distincts :
- soit il s’agit d’un effet lié à l’âge, et donc au développement de la personnalité, ce qui serait vrai d’un mouvement qui n’attirerait, sur une période conséquente, que des jeunes entre 20 et 25 ans, par exemple ;
- soit il s’agit d’un effet lié à une génération, c’est-à-dire un ensemble de personnes d’âge semblable et socialisé dans le même contexte historique, social et culturel. Ce serait le cas d’un mouvement qui attirerait un public dont la moyenne d’âge augmenterait avec celle du mouvement.
Seule une analyse dans la durée permettrait de trancher, et aucun groupe ou mouvement d’une taille raisonnable ne confirme intégralement l’une ou à l’autre des hypothèses. La première explication, celle de la classe d’âge, a été favorisée par les chercheurs dans les années 1970 et 1980. Cependant, des groupes, qui ont pendant un temps recruté uniquement les jeunes, voient leur base progressivement élargie, et ce pour de simples raisons « bio-mécaniques ». En effet, un mouvement exclusivement composé de jeunes recruterait uniquement des adeptes transitoires. Si une telle structure est possible au sein, par exemple, du Mouvement du Potentiel Humain, à but thérapeutique, la vocation même d’un mouvement religieux (accompagnement et fonction heuristique au cours de la vie, naissance, mariage, mort) exclut cette possibilité. A l’exception toutefois, des mouvements apocalyptiques ou millénaristes qui considèrent leurs membres comme les derniers hommes, auxquels cas les mouvements ont une existence extrêmement limitée dans le temps.
Les schémas plus répandus sont ceux de groupes comme l’ISKCON ou Unification Church*, qui ont pendant un certain temps recruté uniquement des jeunes. Cependant, le vieillissement des adeptes (et du leader), a progressivement modifié la composition du groupe. En effet, si les principes idéologiques ou les exigences qui séduisent une classe d’âge peuvent perdurer, toute une partie du recrutement (la plus efficace) se fait par connaissances et grâce au bouche-à-oreille. Les adeptes ont plus tendance à lier des relations avec des personnes de leur âge, de même qu’il est beaucoup plus courant de ressentir un intérêt pour un groupe dont on se sent proche au niveau démographique. De plus, le passage des membres à l’âge adulte implique aussi l’arrivée d’enfants.
Au sein du New Age, les mécanismes, bien qu’un peu différents, ont des conséquences semblables. En effet, si le mouvement a effectivement une force d’attraction plus grande pour des personnes d’âge moyen, cela implique que leurs enfants vont également être socialisés dans cette spiritualité. De même, les jeunes adultes seront influencés dans leur choix de carrière et d’orientation spirituelle par leurs aînés.
Enfin, la conception qui s’appuie sur une vision essentiellement psychologique des Nouveaux Mouvements Religieux est actuellement en perte de vitesse : les jeunes seraient plus malléables et influençables car leur personnalité n’est pas encore construite, ils seraient plus ouverts au contreculturel en raison de leur rejet des schémas parentaux. Cette vision est sous-jacente dans la théorie du « lavage de cerveau » (qui considère les Nouveaux Mouvements Religieux comme des groupes manipulateurs et les jeunes recrues comme des personnes faibles et influençables). Cette théorie est régulièrement dénoncée par les chercheurs des sciences sociales comme par ceux de la psychologie.
La théorie selon laquelle le New Age serait composé essentiellement de membres de la génération du baby-boom, quant à elle, semble correspondre à la réalité du terrain. Parmi les 27 personnes interviewées, 14 ont entre 35 et 55 ans, c’est-à-dire qu’elles sont nées entre 1945 et 1965. 6 sont âgées de plus de 55 ans, et 7 de moins de 35 ans. Nous nous appuierons sur la théorie de Manheim, telle qu’elle est rapportée par R. Wuthnow :
‘The key to his discussion is the “generation unit” : a biological age group that (a) shares a “common location in the social and historical process” which limits it to “a specific range of potential experience, predisposing it for a certain characteristic mode of thought and experience, and a characteristic type of historically relevant action,” (b) has a “common destiny” or interest just as that of a socioeconomic class, and (c) exhibits “identity of responses, a certain affinity in the way in which all move with and are formed by their common experiences.” A generation unit, therefore, is more than simply a biological age group and more than simply an age “cohort,” as the term has come to be used. 313 ’Ceux que l’on a généralement appelés « baby-boomers » correspondent donc bien à ce que Manheim appelle une « unité générationnelle ». La révolution technologique et médiatique qui s’est produite de 1920 à 1960 impacte cette génération durablement, et creuse le fossé entre eux et leurs aînés, comme le constate S. Love Brown :
‘This generation was the first to be affected by television. When the first boomers were born there were 8,000 households in the United States with television sets. Two years later (1948) there were 100,000 sets. By 1950 there were 3.9 million, and by 1959 there were 50 million. The baby boom generation was the first to feel the impact of mass communications. Baby boomers were also a highly educated generation – nine out of every ten graduated from high school and half have attended college, compared to only 14 percent of their parent’s generation. So baby boomers are more than twice as educated as their parents. 314 ’De par la simple masse numérique de cette génération, la société américaine se tourne vers l’enfant, qui devient un consommateur à part entière (création des modes enfantines, apparition de publicités ciblées et de produits spécifiques). Dans le même temps, les interactions entre membres de la même classe d’âge se développent, notamment grâce à la scolarisation et aux activités de loisir. La révolution contreculturelle et le mouvement hippie unifient plus encore les membres de cette génération.
Ces enfants de la communication, révoltés contre la société de leurs parents, déroutés par l’échec de la contreculture, doivent trouver un chemin de réintégration dans la société en tant qu’adultes, et concilier leur idéalisme optimiste et un certain sens des réalités. C’est ce rôle complexe que le New Age va tenter de jouer.
Parmi les trois catégories que nous avons déterminées, la répartition par âge n’est pas homogène. En effet, chaque catégorie possède une moyenne d’âge différente, comme nous pouvons le constater dans le tableau qui suit, qui liste les 26 personnes que nous avons pu classer dans ces catégories. Ceci n’a pas de valeur statistique mais permet simplement de cerner l’échantillon de cette recherche.
Si pour l’ensemble des personnes interviewées la prépondérance des baby-boomers semble avérée, ce n’est pas le cas lorsque l’on regarde le détail de chaque catégorie. La catégorie des « acteurs » est celle qui correspond le mieux à cette description du New Age comme la religion des anciens membres de la contreculture. La catégorie des « consommateurs », quant à elle, regroupe un public globalement plus âgé, même si ces personnes ont vécu la contreculture dans la force de l’âge. Enfin, la catégorie « utilisateurs » semble sur ce point correspondre aux résultats de l’enquête de C. Ellison et D. Mears et à une population plus jeune.
R. Wallis, The Elementary Forms of the New Religious Life, voir aussi supra, Introduction.
C. Ellison and D. Mears, “Who Buys New Age Materials?”.
R. Wuthnow, Experimentation in American Religion, 1978, p. 125 (Karl Mannheim, Essays on the Sociology of Knowledge, New York, Ofxord University Press, 1952).
S. Love Brown, « Baby Boomers, American Character, and the New Age : A Synthesis », in J. Lewis et J. G. Melton, Perspectives on the New Age, p. 91.