4. Le milieu social et la religion : communauté et anomie

Dans l’histoire américaine des Nouveaux Mouvements Religieux, on constate deux tendances : certains mouvements ont été crées pour répondre à des situations de crise, et recrutent parmi les plus défavorisés (Father Divine, mouvements créoles, etc.) ; d’autres s’adressent plutôt à un public privilégié mais parfois désœuvré et en quête de sens, dans l’abondance matérielle et le dénuement spirituel (Penser Nouveau, Théosophie, Transcendantalisme). Le New Age s’inspire des deux types de mouvements, et recrute apparemment parmi les deux types de publics.

Pourtant, la composition socio-économique du New Age et des Nouveaux Mouvements Religieux contemporains n’est pas aussi radicalement égalitaire que leur idéologie voudrait le laisser entendre. Presque tous les observateurs sont d’accord pour admettre que les Nouveaux Mouvements Religieux s’adressent en priorité à une population venue des classes moyennes (middle ou upper middle class). 322 Les raisons de cette prédominance sont diverses. Tout d’abord le coût des services offerts par certains Nouveaux Mouvements Religieux et par la majorité des prestataires de services du New Age s’avère très certainement dissuasif pour des consommateurs aux moyens modestes. On pense en particulier au Centre Chopra, à est*, à l’Eglise de Scientologie*, mais aussi aux prix des cristaux par exemple, si importants pour les New Agers. Par ailleurs, il semble que ces religions ou spiritualités qui se fixent comme objectif un sentiment de mieux-être, ne soient accessibles et même intéressantes que pour ceux qui sont libérés des contingences matérielles. Il existe cependant certains groupes qui parviennent à transcender les appartenances à une classe sociale, mais ils ne restent qu’une minorité. C’est par exemple le cas de l’ISKCON, comme le remarque S. J. Palmer en 1994 : « recent research indicates that the appeal of Krishna Consciousness is no longer confined to one class. » 323

Le recrutement du New Age dans les classes moyennes est vu par certains observateurs comme une nécessité psychologique : il semble plus facile de penser à Dieu une fois le ventre plein, et de s’occuper de la survie de son âme lorsque celle du corps est assurée. Comme le rappelle N. Drury : « Abraham Maslow argued that the pursuit of higher states consciousness depended on the prior fulfilment of basic needs. » 324 Enfin, le niveau social n’est pas un critère abstrait, mais est souvent lié au niveau d’éducation, et à des conditions de vie.

Si l’on considère que le processus de « disestablishment » décrit par P. Hammond constitue un terreau fertile pour le New Age, alors l’attrait que celui-ci exerce sur la classe moyenne s’explique. En effet, les communautés « superficielles », où le lien social est faible, sont typiques des banlieues des classes moyennes. La mobilité géographique des populations ainsi que l’organisation physique de ces banlieues résidentielles découragent la création de communautés fortes. Ceci, associé à une libéralisation des mœurs, va concorder à justifier une très grande fluidité dans les appartenances religieuses, et encourager par exemple la tradition de « vagabond spirituel » (« seeker »). Par contre, des communautés aux liens plus étroits, dans un contexte plus conservateur et moins mobile sur le plan géographique, auront plus tendance à s’investir dans des religions traditionnelles, (ce qui se traduit dans l’étude de P. Hammond, par un investissement dans la vie de la communauté religieuse locale) : « Persons high in local ties and traditional in outlook in the family/sexual sphere are, we observed, more involved in parish life. » 325 Or, faible mobilité géographique et communauté très unie sont plus typiques des classes défavorisées, et notamment de certaines minorités ethniques, que des classes moyennes.

A l’extrême de la théorie selon laquelle les Nouveaux Mouvements Religieux s’adressent principalement à des personnes en grande difficulté et en situation de crise, il existe une position selon laquelle les participants de ces groupes présentent tous des symptômes d’un déséquilibre mental, parfois simplement passager. Cette théorie a servi les détracteurs des « sectes », qui utilisent cet argument pour démontrer l’absurdité de la théologie, ne pouvant convenir qu’à des individus en inadéquation totale avec la réalité. Elle permet également de justifier la thèse du « lavage de cerveau » (« brainwashing »), puisque les groupes incriminés profiteraient d’une faiblesse psychologique pour asseoir leur emprise sur des cerveaux malléables. Cependant, toutes les études sérieuses démontrent l’infondé de cette théorie. L. Lilliston et G. Shepherd, par exemple, notent cette concordance des études récentes :

‘In summary, then, several well-constructed, systematic studies of current members of a variety of New Religious Movements present data that converge towards a clear conclusion of absence of any unusual degree of psychopathology among these members. This conclusion contrasts greatly with the conclusion of critics who rely on anecdotal data provided by ex-members in therapy and by their families. 326

S’il est donc généralement admis que le New Age n’est ni le symptôme d’un déséquilibre mental, ni une stratégie commerciale manipulatrice profitant de la faiblesse mentale de certains individus, il n’en reste pas moins que nos recherches (entretiens, questionnaires, et analyse cartographique) montrent qu’une partie des adeptes de la nouvelle conscience est issue des classes les plus populaires. Cela impliquerait donc que les participants issus de diverses classes sociales s’intéressent au New Age pour des raisons divergentes. Les personnes issues des classes moyennes et supérieures le feraient en réaction à une forme d’anomie, de perte de sens et de repères, et leur choix exprimerait un tissu social très lâche et des mœurs libérées. Le New Age - outil, par contre, serait plus une forme de syncrétisme, dans la mesure où il ne correspond pas à une défection d’une autre religion, ou d’autres croyances.

Notes
322.

Voir par exemple L. Dawson, Comprehending Cults, R. Wuthnow, “Religious movements and counter-movements in North America”, J. G. Melton, The Encyclopedic Handbook of Cults in America.

323.

S. J. Palmer, Moon Sisters, Krishna Mothers, Rajneesh Lovers, p. 32.

324.

N. Drury, Exploring the Labyrinth, p. 24.

325.

P. Hammond, Religion and Personal Autonomy, pp. 64-65.

326.

L. Lilliston, G. Shepherd « New Religious Movements and mental health », p. 128.