5. Le parcours religieux et la religion première

Le New Age représente un attrait qui varie pour les croyants des différentes religions. En effet, les auteurs qui se penchent sur la défection des religions traditionnelles et le recrutement par les Nouveaux Mouvements Religieux ou la nouvelle conscience observent de fortes disparités entre les différentes religions d’origine. R. Stark, par exemple, a rassemblé les données fournies par 6 études (Judah 1974 sur ISCKON, Church of Scientology 1978 sur Scientology, Melton 1981 sur Witches, Melton 1981 sur Unification Church*, Nordquist 1978 sur Ananda Cooperative village, et Volinn 1982 sur Satchidananda Ashram), et parvient à la conclusion suivante :

‘for the four groups from which we have full data, “nones” are very heavily overrepresented. […] In similar fashion, Protestants are underrepresented in each of these groups, falling well below their proportion in the population. […] Overall, Catholics tend to be in cults about in proportion to their population numbers, as are those from “other” backgrounds. […] Perhaps the most stunning finding, however, is the extraordinary overrepresentation of Jews in these contemporary cult movements. Although they are least overrepresented among the Moonies, even here they are present in numbers nearly three times their proportion in the general population. 329

Les résultats obtenus par R. Stark ne constituent pas une exception, d’autres auteurs parviennent à des conclusions similaires, à savoir que les personnes élevées dans la religion juive, et dans une moindre mesure, dans la religion catholique, constituent des recrues plus probables pour la spiritualité alternative que les individus élevés dans la religion protestante.

Ces disparités peuvent s’expliquer par deux facteurs, théologique et sociologique. Le premier a donc trait au contenu des enseignements de la religion d’origine. Les religions les plus libérales et les plus sécularisées comprennent des individus qui n’attachent qu’une importance limitée aux dogmes et seraient plus ouverts aux discours œcuméniques et panthéistes de la nouvelle spiritualité. La prédominance du judaïsme réformé, et le libéralisme de ce dernier, corroborent cette hypothèse ; les individus socialisés au sein de la religion juive souhaiteraient conserver une spiritualité pour des raisons d’épanouissement et de communauté, mais leurs orientations sociales et politiques les pousseraient vers les mouvements de la nouvelle conscience. P. Hammond observe au sujet du judaïsme dans quatre Etats (North Carolina, Ohio, Massachusetts, et Californie) :

‘The percentage high in personal autonomy is so great that there remains no room for variation. […] Jews have the highest proportion of persons high in personal autonomy, exceeding even that of the Nones [persons with no religion]. This tendency – toward low local ties and the alternative morality – appears to be characteristic of Jews in all regions. 330

De même, au sein du Protestantisme, R. Stark observe que les groupes orthodoxes et évangéliques sont moins sujets à défection au profit des Nouveaux Mouvements Religieux. 331

L’aspect affectif, irrationnel et émotionnel de la religion joue également un rôle. Il permet notamment de comprendre le différent taux de défection au profit du New Age qui existe entre le catholicisme et le Protestantisme. En effet, dans la religion catholique, le rituel occupe une place privilégiée, alors que la religion protestante est plus sobre ; la première peut être qualifiée de religion du cœur et la seconde de religion de l’intellect. Or, les participants du New Age confèrent une grande importance au rituel. Plusieurs des personnes interviewées mentionnent la beauté des rites comme étant un élément décisif de leur choix, et une pièce centrale de leur religiosité (Susan, Carolyn, Katherine).

Ensuite, le caractère sociologique du groupe religieux exerce une influence. Les groupes qui ont un rôle identitaire, et qui coïncident avec une communauté, ne perdent que très peu de membres au profit du New Age. C’est le cas par exemple, des religions ethniques (catholiques, juives, islamiques, bouddhistes, etc.), pour qui l’aspect communautaire et social est encore très présent. La religion est un élément de l’identité, en particulier dans les contextes d’immigration et de déracinement. Il s’agit de ce que l’on peu nommer un « groupe primaire », ou encore ce que P. Hammond nomme la fonction « collective-expressive » de la religion. A l’extrême inverse, les religions très libérales ne demandent qu’un investissement minime de la part de leurs membres. La spiritualité y est diffuse, et aucune tendance dogmatique ou prescriptive ne s’exprime. Nous sommes ici proches de l’anomie (telle que définie par E. Durkheim), ou de ce que P. Hammond appelle la fonction « individuelle-expressive » :

‘For many therefore – especially those not embedded in primary groups – the church is simply one of these segmented relationships. Far from expressing collective ties, the church is one of the ways by which individuals (often joined by other members of their nuclear families) may try to cope with this segmented life. Very much a voluntary association for such people, the religious organization represents for them not an inherited relationship but a relationship that can be entered and left with little or no impact on their other relationships. Church for them is not simultaneously a gathering of kin, neighbors, fellow workers, and leisure-time friends but rather a separate activity, expressing another meaning. For such people it is not a necessary moral compass, an anchorage in a world of conflicting expectations, but rather a safe harbor, one place to sort out life’s dilemmas. If such people do get involved in a church, they are therefore more likely to do so for their own reasons, even if they have friendly relations there. Their view of the church might therefore be called “individual-expressive.” 332

Les différences que l’on peut observer entre les trois catégories du New Age sont essentiellement liées à l’origine ethnique des participants. Parmi les personnes interviewées, le New Age « outil » est plus souvent constitué de personnes initialement catholiques (d’origine hispanique) ; les « acteurs » sont plutôt majoritairement protestants ; alors que parmi les « consommateurs », judaïsme et catholicisme sont les religions d’origine prépondérantes.

La conclusion de l’ensemble de ces études, est que si le New Age concerne vraisemblablement 20 à 25% de la population américaine, ce n’est pas pour autant un groupe unifié. L’investissement dans la spiritualité alternative est très varié. Une partie de ce pourcentage porte un intérêt aux pratiques ou à une partie des théories du New Age sans pour autant accepter la globalité du système théologique et du mode de pensée du mouvement. On trouve en réalité deux profils :

- D’une part, le New Age est composé d’une population affluente qui a le sentiment de n’avoir plus de repères (déçue par une religion désenchantée et intellectualisée, avec un haut niveau d’éducation qui entraîne un relativisme poussé à l’extrême, et solitaire du fait de l’affaiblissement des liens communautaires), issue du baby-boom, et qui a expérimenté un parcours personnel de désillusion par rapport à une religion première associée à la société traditionnelle.

- D’autre part, le New Age est vécu comme un mouvement apte à procurer des gratifications immédiates et un sentiment de pouvoir pour une population défavorisée, et dans ce contexte il se présente comme élément d’une religiosité syncrétique.

Notes
329.

R. Stark, The Future of Religion, pp. 400-402.

330.

P. Hammond, Religion and Personal Autonomy, p. 152.

331.

cf. R. Stark, The Future of Religion, Table 18.1, p. 400.

332.

P. Hammond, Religion and Personal Autonomy, p. 2.