Cependant, le New Age est souvent interprété par les observateurs extérieurs en tant que phénomène religieux. Cela peut se comprendre lorsque l’on se fonde sur une définition plus large du religieux (comme nous l’avons dit en ouverture de ce travail), et lorsque l’on prend le New Age dans toute sa complexité et non seulement dans certaines de ses manifestations. Nombreux sont les éléments de définition du religieux (le sacré, les rituels, etc.) que l’on retrouve présents au sein de la « nouvelle conscience ». De même, si l’on considère une perspective historique plus globale, la nouvelle spiritualité s’inscrit dans la lignée des « Réveils Religieux » américains (cf. supra, chapitre I. B. 4.). Outre que des mouvements ouvertement religieux (ISKCON*, Unification Church*, Children of God*, etc.) participent de l’élan spirituel New Age, même les groupes aux intérêts les plus temporels présentent ces caractéristiques.
Même si un grand nombre de mouvements ou de tendances ne se présentent pas comme religieux ni même spirituels, beaucoup comportent une part de sacré, et parfois quelques rituels. Par exemple, dans son roman The Celestine Prophecy, J. Redfield décrit les « Révélations » qu’il apporte comme relevant du spirituel, et non pas du religieux :
‘He said the Manuscript dates back to about 600 B.C. It predicts a massive transformation in human society. […] The priest told me it’s a kind of renaissance in consciousness, occurring very slowly. It’s not religious in nature, but spiritual. 336 ’Cependant, comme on peut le remarquer dans le passage ci-dessus, et tout au long du livre, certains mots sont systématiquement retranscrits avec des majuscules : « Insight » et « Manuscript ». Cela n’est pas sans évoquer un caractère sacré que l’on retrouve dans la tradition judéo-chrétienne. De même dans le Fireweed Eagle Clan, certains artefacts sont sacrés au sens traditionnel du terme : intouchables, sujets d’interdits, inspirant crainte et respect (la tête des calumets, par exemple). Nombre d’Américains qui ont chez eux une statue de Bouddha évitent de lui toucher la tête.
De plus, les groupes du New Age comportent souvent des rituels, qui ne se définissent pas toujours comme religieux mais qui servent bien les mêmes fonctions que leur contreparties religieuses. Ainsi, autour du concept d’énergie (concept utilisé dans un esprit « pseudo-scientifique »), si central dans la « nouvelle conscience », s’organisent des rituels qui ont pour fonction de rassembler et d’augmenter cette énergie, et parfois de la rediriger sur certaines personnes ou lieux qui en ont besoin. En ce sens, la Méditation Transcendantale* a pour principale occupation de mener des cérémonies rituelles.
D’autres groupes encore proposent de nouveaux « rites de passage ». De nombreux New Agers se choisissent un mariage parmi ceux qui existent dans les différentes traditions spirituelles, redonnant ainsi un sens qui leur corresponde à cet événement. Le Fireweed Eagle Clan propose des rites funéraires fondés sur certaines traditions amérindiennes réinterprétées dans un contexte moderne : une bougie représentant l’âme du défunt est allumée, puis disposée sur un autel particulier où repose également des photos et des objets représentant la personne disparue.
Le New Age au sens large comporte également ses « prêtres », ou du moins des figures centrales qui résument et annoncent les principales tendances du discours de la « nouvelle conscience » : les channelers. En effet, les paroles des entités « channelées » s’apparente à une parole divine : le channeler n’est que le véhicule d’une conscience supérieure qui s’exprime au travers d’une personne physique – ce qui est très proche de la Révélation et du statut des prêtres catholiques. La valeur et la crédibilité du texte « channelé » sont donc systématiquement plus importantes que celles des textes écrits par des humains. L’ensemble des enseignements transmis de cette manière est souvent emblématique des orientations du New Age. De tels écrits sont généralement largement diffusés – même si les qualités intrinsèques du texte jouent également un rôle. C. Raschke note que le parallèle entre le clergé et les channelers va très loin :
‘The channeler performs a kind of priestly function in the New Age religious community, even though many channelers—as with all clergy down through the ages—have been accused by detractors and skeptics of hoodwinking and fleecing their flocks. 337 ’Enfin, la sécularisation est aussi parfois appelée « désenchantement du monde », puisque c’est un processus qui remplace les explications « enchantées » du monde par des explications rationnelles et scientifiques. Le New Age ne semble pas progresser vers un tel désenchantement. La magie et la sorcellerie reviennent au goût du jour, et elles privilégient des relations de cause à effet non scientifiques (« le rocher est tombé car il était ensorcelé »). L’explication rationnelle des phénomènes cède le pas à l’idée selon laquelle « chacun crée sa réalité », idée qui reste pour ceux qui la partagent quelque peu magique (même si elle a un parallèle en physique quantique*).
En d’autres termes, la « nouvelle conscience » parvient au contraire à « réenchanter le monde », et à redonner aux individus un sentiment de puissance que la science leur avait enlevé. Ann narre avec une fierté retrouvée son enfance « parmi les fées » : « I was a fay child ». 338
J. Redfield, The Celestine Prophecy, p. 4.
C. Raschke, “The New Age: The Movement Toward Self-Discovery,” (pp. 106-120) in D. Ferguson (ed.), New Age Spirituality.
Entretien avec Ann, 26-04-2000.