Il semblerait par ailleurs intéressant d’analyser le discours tenu par la « nouvelle conscience » elle-même. A première vue, il s’agit encore une fois d’une rhétorique ambiguë, qui s’affirme et se justifie dans la lignée des grandes traditions monothéistes d’une part, et rejette avec conviction toute classification en tant que religion d’autre part.
Tout d’abord, un certain nombre de groupes de la nouvelle conscience évitent et récusent la classification au rang de « religion ». Quasiment aucun New Ager ne se déclare entrer en religion, comme le remarque L. Woodside : « A usual comment among New Age followers is ‘I am spiritual, but I’m not religious.’ » 339
Une telle position s’explique tout d’abord par un rejet de certaines caractéristiques de la religion qui en viennent à faire un peu peur. En premier lieu, le dogmatisme attendu d’une religion, mais aussi l’implication totale demandée des nouvelles recrues « converties » sont des éléments que les New Agers souhaitent éviter dans leurs expériences mystiques. Au cours des entretiens, la question no 2 (« What is your opinion of mainline religions ? ») montre souvent que les participants du New Age considèrent que les religions traditionnelles sont régies par une doctrine stricte, dogmatique, et fermée aux autres philosophies quand elles ne pratiquent pas l’intolérance. En somme, l’image de la religion est influencée par les religions visibles dans la société américaine. Les religions traditionnelles sont perçues comme des univers fermés, ne communiquant pas avec d’autres systèmes de pensée, et antinomiques à la fluidité qui caractérise le New Age.
Par ailleurs, les New Agers sont attentifs à construire une image de la spiritualité qui se distingue du sectarisme. Le récent débat autour des sectes (« cults »), alimenté par les suicides collectifs, pratiques sexuelles extravagantes, manipulations et autres abus (Organisation du Temple Solaire, Heaven’s Gate, People’s Temple entre autres), jette le discrédit sur un engagement dans un groupe aux pratiques spirituelles étranges qui se déclarerait comme une religion et présenterait les mêmes caractéristiques en termes d’exigences sur ses membres. D’une part les participants de la « nouvelle conscience » se méfient de ce qui peut ressembler à une secte, d’autre part dans leur discours (auprès de leurs amis et leurs proches) ils veulent éviter d’être catégorisés ainsi. Cela explique le discours prudent que tiennent certaines personnes, par ailleurs très impliquées dans tel ou tel groupe, mais qui évitent d’en parler en termes trop enthousiastes ou de se définir comme religieux.
De plus, les membres de groupes « nouvelle spiritualité » ont souvent conscience des abus qui ont été commis au nom de la religion : guerres, inquisition, oppression des minorités, etc. Au cours des entretiens, plusieurs interviewés évoquent les exactions commises au sein des grandes religions. En se situant à un autre niveau, ils espèrent se garantir contre de tels extrémismes.
Enfin, le fanatisme possible, surtout dans le cas de certaines religions d’origine étrangère comme celles d’inspiration japonaises ou musulmanes, est une dérive de la religion qui inspire méfiance, en particulier lorsqu’il s’associe à des actions terroristes. Les participants de groupes fondés sur des traditions orientales et du Moyen-Orient préfèrent souvent se définir comme « chercheurs spirituels » (« spiritual seeker ») plutôt que d’encourir le risque d’être catalogué comme fanatique.
L. Woodside, “New Age Spirituality: A Positive Contribution”, (pp. 145-168) in D. Ferguson (ed.), New Age Spirituality, p. 147.