3. Une ré-articulation de la religiosité

Nouveaux sens du religieux

A priori, le New Age ne ressemble pas à une religion traditionnelle occidentale : il n’est pas fondé sur un personnage spirituel central, il ne s’organise pas autour d’un ensemble de doctrines ou de textes sacrés, il ne définit pas de Bien et de Mal, n’interdit pas. Le terme de « Jésus » évoque dans la « nouvelle conscience » non pas le personnage historique en tant qu’incarnation du divin mais plutôt un emblème, qui permet d’appréhender un ensemble de concepts 342 .

Cependant, certaines religions fonctionnent selon des schémas différents. Par exemple, la religion de l’Egypte Antique n’est certes pas fondée sur un prophète, et ne fait pas référence à un Dieu unique, pas plus que la religion de certaines tribus amérindiennes. Nous pouvons ainsi nous demander si la réticence de certains à envisager le New Age comme une religion à part entière relève d’un ethnocentrisme pour qui toute religion est nécessairement monothéiste. Cependant, la nouvelle spiritualité diffère aussi d’un système polythéiste dans la mesure où elle ne se réfère pas à des divinités précises. Le système religieux le plus proche du New Age est le panthéisme, qui considère que le divin est en tout, et rappelle le monisme de la « nouvelle conscience ». Reste que la nouvelle spiritualité regroupe en son sein des aspects de chacun des systèmes décrits plus haut, et se situe donc à un niveau structurel supérieur. Il s’agit en ce sens d’une intégration, donc d’un syncrétisme. Pour D. Spangler, porte-parole du mouvement, la réponse est claire : le New Age ne s’apparente pas à une religion :

‘My response to this question [whether or not the New Age is a religion] has always been that the New Age is not a new religion. One does not become a “New Ager” in the same sense that one becomes a Christian, a Muslim, or a Buddhist. The New Age does not have a single, cohesive doctrine to which everyone ascribes; it does not have a central spiritual founder like a Jesus, a Buddha, or a Muhammad. It does not have a unified set of spiritual practices or a common pattern or focus of worship. It does not have a well-defined path toward the sacred. 343

Par ailleurs, l’effervescence mystique des années 1970 et 1980 n’est pas nécessairement antithétique de l’effervescence religieuse des années 1950, dans le sens où les deux aspects – religion mystique (« cult ») et religion traditionnelle (Eglise ou « sect ») – ne sont que deux manifestations d’un même phénomène. Le New Age ne serait donc l’expression ni d’un déclin, ni d’un retour du religieux, mais seulement d’une transformation.

Cette théorie semble confirmée par les sondages, qui révèlent que le nombre d’Américains qui se disent croire en Dieu (ou du moins avoir une croyance spirituelle) est resté stable au cours des dernières décennies :

‘The share of Americans who believe in some sort of divine power has remained constant for decades. Likewise, churchgoing rates haven’t done anything noticeable in recent years. 344

Le mouvement « nouvelle conscience » ne serait plus à considérer comme une modification quantitative mais qualitative de la religiosité aux Etats-Unis. La religiosité traditionnelle englobait, dans la vie paroissiale, le théologique (croyances et spiritualité, aspects dogmatiques et mystique) et le lien communautaire (éthique définie et appliquée en commun, rites de passage aux moments clés de la vie). La religion constituait un élément identitaire. P. Hammond décrit le déclin de ce rôle traditionnel de l’église :

‘For many therefore – especially those not embedded in primary groups – the church is simply one of these segmented relationships. Far from expressing collective ties, the church is one of the ways by which individuals (often joined by other members of their nuclear families) may try to cope with this segmented life. Very much a voluntary association for such people, the religious organization represents for them not an inherited relationship but a relationship that can be entered and left with little or no impact on their other relationships. Church for them is not simultaneously a gathering of kin, neighbors, fellow workers, and leisure-time friends but rather a separate activity, expressing another meaning. For such people it is not a necessary moral compass, an anchorage in a world of conflicting expectations, but rather a safe harbor, one place to sort out life’s dilemmas. If such people do get involved in a church, they are therefore more likely to do so for their own reasons, even if they have friendly relations there. Their view of the church might therefore be called “individual-expressive.” 345

Avec la spiritualité alternative et le déclin des religions traditionnelles, nous assistons à un éclatement de ces rôles suivi d’une recomposition. Le théologique des églises est devenu trop intellectuel, trop sécularisé (avec dans les années 1960 le mouvement post-chrétien de la « mort de Dieu » 346 ) ce qui se traduit par un double mouvement de défection, au profit des religions néo-fondamentalistes d’une part, et au profit d’une spiritualité intime, magique et mystique d’autre part. La vie paroissiale et le contrôle éthique qu’exerce la communauté présentent de moins en moins d’attraits dans un monde sans règles, où le culte de la liberté individuelle et celui du relativisme moral vont de pair.

Le New Age tente une réunion des différents aspects de la religion traditionnelle tout en intégrant de nouveaux éléments. Au théologique réenchanté, s’ajoutent un sentiment de communauté généré par les groupes de travail, festivals, stages, et méditations, et un aspect thérapeutique qui renvoie aux pratiques religieuses pré-modernes. La communauté s’est modifiée : étendue bien au-delà du voisinage par le biais d’Internet et des télécommunications, elle ne fonctionne plus en cercles concentriques mais en toiles d’araignées et réseaux. Elle ne véhicule plus de sanctions et n’impose plus de limites, mais fonctionne comme une matrice nourricière et encourageante. Cependant, elle est devenue dans le même temps plus artificielle, moins totalitaire mais moins solidaire ; en fait, moins contraignante et surtout moins présente : on peut se connecter et se déconnecter à loisir.

Notes
342.

La divinité de l’homme, la capacité d’évolution spirituelle, la présence de la « conscience Christique » en chaque individu, le pardon et l’amour, cf. par exemple K. Wapnick, Forgiveness and Jesus, 1994, ou A Course in Miracles.

343.

D. Spangler, “The New Age: The Movement Toward the Divine,” (pp. 79-105) in D. Ferguson (ed.), New Age Spirituality, p. 80.

344.

J. Harrison, “Advertising Joins the Journey of the Soul,” American Demographics, June 1997, p. 24.

345.

P. Hammond, Religion and Personal Autonomy,p. 2.

346.

Selon D. Steigerwald, The Sixties and the End of Modern America, « the most important development in Christian theology in the sixties was the “death of God” movement, a “post‑Christian” body of thought that proclaimed the death of the transcendent God as a means of liberating Christians from their distracting concerns over the afterlife, their obsession with following rules, and their belief in fallen humanity. To accept the death of God was to enliven one's Christian morality in this life. » p. 247.