Géographie mythique et pèlerinages spirituels

La vision du monde du New Age attribue différents degrés d’importance à différents lieux. Comme toute religion, il définit le sacré dans l’espace, avec des lieux « saints », qui seront sujets à dévotion et pèlerinage. Les lieux représentés dans les romans initiatiques du New Age appartiennent à une cartographie spirituelle bien définie, il existe même un « Atlas du New Age ». La question no 10 de l’entretien, « What do you think are the most spiritual places ? », visait à identifier ces lieux au niveau du participant ordinaire. Parmi les 17 personnes qui ont répondu à cette question, 15 ont fourni des réponses spécifiques (noms de localités). Le lieu le plus cité est Sedona (Arizona), mentionné par 6 personnes. Quatre personnes ont nommé Big Sur (Californie), le Pérou et l’Egypte. Certaines zones moins spécifiques connaissent un succès similaire : les Parcs Nationaux (Yosemite, Joshua Tree, Grand Tetons, Grand Canyon, Death Valley, 5 interviewés), le Colorado (Crestone, Snow Mass Cathedral, Aspen Park, 4 personnes), la région de Stonehenge (Ecosse, île d’Iona, Avalon, etc., 4 personnes). L’Inde, Jérusalem, Encinitas, la région de San Diego, et l’Amérique du Sud sont cités par 3 des interviewés. Enfin, Hawaï, le Mont Shasta (Californie) et la ville de New York sont mentionnés par 2 des 17 personnes.

Les réponses isolées semblent évoquer une expérience de voyage personnelle ou des connaissances historique et/ou géographique : la Mer Noire, Kaloba, l’Australie, les volcans du Guatemala, Paris, la Jamaïque, la Chine. Les réponses obtenues sont peut-être plus emblématiques de la Californie du Sud que de l’ensemble des Etats-Unis : en effet, l’Inde et l’Orient ne sont cités que peu de fois. Il ressort également que la Californie constitue un lieu New Age parmi d’autres.

On peut recenser différents types de lieux : les lieux sacrés des grandes traditions (Jérusalem, l’Inde) ; les lieux liés aux forces de la nature (le Colorado, les Parcs Nationaux), et des lieux dotés d’une importance spécifique au New Age (Encinitas, Big Sur, le Mont Shasta, Sedona, Hawaï, l’Egypte, le Pérou), parfois appelés « power spots ». Enfin, la référence aux villes, notamment New York et Los Angeles, illustrent la croyance New Age que toute forme d’énergie est nécessairement positive. Les villes sont des nexus d’énergie et, par conséquent, des lieux propices à la spiritualité – ce en quoi le New Age embrasse la modernité, et qui le distingue de la mythologie de la plupart des religions.

L’énergie spirituelle d’un lieu est donc déterminée par plusieurs facteurs qui agissent de façon croisée : les forces visibles de la nature (océans, déserts, forêts, montagnes) ; les forces invisibles, courants telluriques et points névralgiques ; l’influence de la présence de spiritualité humaine, passée ou présente ; l’importance cosmique, parfois marquée par des traces de présences extra-terrestres. Lorsque tous ces éléments sont présents en un même lieu, celui-ci prend une importance centrale dans le New Age : c’est le cas de Sedona, du Mont Shasta, du Pérou et de l’Egypte. De tels endroits sont considérés comme des « vortex » d’énergie, de véritables « points d’acupuncture » de la planète. L’énergie présente dans ces lieux amplifie les effets bénéfiques des pratiques spirituelles, et accélère le processus de transformation ainsi que l’avènement du New Age en chacun. La tradition du pèlerinage est également à resituer dans le contexte d’actions de « guérison de la planète », qui consistent à enterrer des objets (souvent des cristaux) ou à célébrer des rituels, ou tout simplement à méditer, dans ces endroits clés. Le Mont Shasta (en Californie du Nord) est l’un de ces centres névralgiques dont l’importance est liée à plusieurs explications qui se superposent :

‘An examination of the town's [Mount Shasta’s] bookstores and cafes reveals flyers and guidebooks that give voice to common themes: The mountain is riddled by the network of caves that are home to Lemurians; lenticular clouds serve as cover for spaceships and more or less tangible transfers of personnel or thought from outer space; viewing the cone of the mountain gives one strength and spiritual power; Mount Shasta is a power spot of international significance. Local artists and writers sell photographs, paintings, and a wealth of books testifying to the spiritual qualities of the mountain, including posters of “solar angels” said to frequent the mountain and its environs. 351

Le New Age des Américains exprime également, dans sa vision géographique du monde, une forme de culturocentrisme, voire de patriotisme. En effet, la popularité des Parcs nationaux constitue une forme d’allégeance à l’identité nationale. La plupart des lieux cités par les New Agers sont sur le sol américain, ou en sont géographiquement proches (Pérou, Amérique du Sud) ; ou culturellement proches (Ecosse et Stonehenge) : seule une personne interviewée mentionne un lieu Européen non anglophone (Paris).

Les participants au New Age pratiquent également beaucoup le pèlerinage. En effet, c’est une pratique appropriée, à la fois du point de vue du style de vie des New Agers et des thématiques populaires dans le mouvement :

  • - le New Age se préoccupe de la planète dans sa globalité (avec les courants de pensée
  • holistique, du concept de Gaïa*, etc.)
  • - c’est la religion du voyageur, le thème du voyage initiatique est récurrent, notamment dans les ouvrages de Paolo Coelho, J. Redfield, S. MacLaine, H. Hesse, etc.
  • - il fait preuve d’un engouement pour l’exotisme (cf. infra, Chapitre VIII. B. 3.)
  • - la spiritualité New Age s’installe un espace proche de celui du divertissement ; la
  • limite entre pèlerinage et tourisme se fait parfois imperceptible.
  • - réciproquement, la forme religieuse qu’est le pèlerinage fait généralement appel à un type de spiritualité proche du New Age.

Les lieux de pèlerinage des religions traditionnelles possèdent un certain nombre de caractéristiques qui les apparentent à la spiritualité alternative. L’omniprésence du thaumaturge et du thérapeutique dans les lieux de pèlerinage n’est pas sans rappeler une spiritualité tournée vers la guérison et la thérapie. Il existe également un éclectisme, une interpénétration entre les pèlerins de différentes convictions, décrits par J. E. Campo :

‘The sacred sites of all three [Catholics, Mormons, Hindus] do not attract only pilgrims from among their own members. Based on a limited number of sample surveys, they draw a mix of pilgrims, tourists, and visitors, including coreligionists and outsiders. This is not a distinctive feature of U.S. pilgrimages; from a global perspective, Christian shrines and many Indian pilgrimage sites are accessible to outsiders, as are Muslim mosques and shrines outside of Saudi Arabia. 352

D’autre part, le syncrétisme des New Agers s’approprie souvent les saints qui sont l’objet de pèlerinages dans les autres traditions religieuses. Par exemple, au sein du catholicisme, les lieux de pèlerinage sont souvent dédiés à la vierge Marie (J. E. Campo constate que c’est le cas pour plus de la moitié des sites américains 353 ), or le culte de la vierge est populaire dans le New Age (qui insiste sur les racines païennes de ce culte, sur la glorification du féminin dans ses aspects nourriciers et protecteurs…). Enfin, l’idée que le voyage (pas seulement la destination) enrichit le voyageur, est caractéristique des enseignements de la religiosité alternative.

Notes
351.

M. Fernandez-Gimenez, L. Huntsinger, “Spiritual Pilgrims at Mount Shasta, California”, Geographical Review, v90, n4, Oct 2000, p. 2.

352.

R. Campiche, “Individualisation du croire et recomposition de la religion,” in Archives de Sciences Sociales des Religions, 1993, p. 44.

353.

R. Campiche, “Individualisation du croire et recomposition de la religion,” p. 44.