Rejet de l’histoire-science et mythologie structurante

De même que le New Age considère que certains lieux sont investis d’une spiritualité particulière, sa vision de l’histoire le distingue de la norme. En effet, une défiance caractéristique à l’égard de l’histoire en tant que discipline scientifique prédomine. Patrick affirme :

‘And history, if you write the word down, is His Story. It’s someone else who wrote the story. The Bible has been changed to suit whoever was writing it at the time. To help control the masses. So there’s not much I really believe, or take into account in history. I take everything about history with a grain of salt. Perhaps it’s true, perhaps not. Depends on who was writing the book at the time. And history that they don’t talk about, like Atlantis and Lemuria, I think those are more spiritual. But it’s because we don’t know about them, it’s what makes them more spiritual, the unknown. 354

D’autres membres de la nouvelle conscience m’ont également expliqué que c’était une erreur d’enseigner l’histoire (notamment les guerres et autres passages sombres) aux enfants, qu’entretenir la mémoire des atrocités commises maintenait l’humanité dans un cycle de négativité. Par contre, la mythologie jouit d’un crédit (paradoxal, car elle s’avère souvent tout aussi sombre que l’histoire) du fait de la liberté d’interprétation que s’accordent les New Agers.

Au cours des entretiens, une question portait sur l’histoire. Tout d’abord, il est significatif que, si toutes les personnes interviewées ont su répondre à la question géographique, seulement 14 personnes sur 17 ont proposé une réponse à la question historique. Huit interviewés ont cité des périodes historiques, mais seulement trois d’entre eux les ont situées par des dates. Les autres références correspondent à des moments de l’histoire déterminés par un élément ou un personnage marquant : « the time of Christ », « the Middle Ages », « Dark Ages », « Moses », « now ».

Les périodes les plus unanimement reconnues sont l’époque du Christ et le Moyen-Age. Les années 1960 et la période contemporaine viennent en second. Cette vision de l’histoire se retrouve également dans les régressions dans les vies antérieures. Comme l’ont relevé plusieurs chercheurs 355 , les incarnations qui reviennent à la conscience des pratiquants ne se répartissent pas de manière arbitraire sur la frise chronologique : certaines époques – concordantes avec celles mises en relief par notre questionnaire – sont infiniment plus populaires.

Ensuite, la présence des temps mythiques est significative : 5 personnes, soit plus du tiers des répondants, ont mentionné une époque mythologique (« the age of the Goddess », « Atlantis and Lemuria », « the first Garden of Eden », « Native civilizations »). Pour trois d’entre elles, les périodes historiques et mythologiques ont été données dans une même liste, sans précautions ou avertissements. La défiance des interviewés au sujet de la science historique (qui est étroitement liée à la réaction de la spiritualité alternative contre la raison, cf. supra, Chapitre V. C. 1.) et la confiance accordée au mythe se complètent et permettent une fusion des temps imaginaires et réels. De plus, les périodes historiques de référence dans le New Age ont été amplement mythifiées (le Moyen-Age, par exemple, a été romantisé et/ou réinterprété dans nombre de romans et de films).

Enfin, trois des personnes interviewées n’ont pas nommé de période spécifique mais ont fait référence à des crises : « times of crisis », « periods of deepest strife », « every big war happened for a reason, to have a shakedown in spirituality and religion », « anytime there’s […] a lot of dark energy ». Cette vision de l’Histoire comme reflet d’une histoire personnelle, influencée dans le New Age – comme nous l’avons vu plus haut – par des crises qui sont aussi de puissants déclencheurs d’une évolution spirituelle, est un autre exemple de pensée holiste (la partie est le reflet du tout).

Les autres périodes centrales du New Age relèvent de deux types de mythologies principales : l’idée d’un âge d’or lointain et perdu, auquel nous aspirons par nostalgie d’une part ; la croyance en une évolution darwinienne de la conscience, qui progresse par bonds et met ainsi en relief des périodes d’effervescence spirituelles. La nostalgie d’un âge d’or où l’humanité était plus proche de la nature, plus à l’écoute du féminin, plus reliée au divin, s’exprime dans le regret des « civilisations primitives » (ou des « civilisations exotiques »), et dans la croyance en un « âge de la déesse », décrite par M. Brown :

‘Among those involved in women-centered spirituality, it is virtually an article of faith that all societies were once matriarchies dedicated to the worship of the Goddess. Matriarchal utopias, the story continues, were eventually overthrown by the male institutions that have dominated human history for the last three millennia. (The absence of support for this view among reputable scholars is considered further proof of patriarchal domination.) As our species moves toward a new synthesis of male and female, patriarchy is crumbling under the weight of its pathologies. 356

Les périodes d’intense créativité magique et ésotériques sont (ré-)imaginées : l’époque du Christ donne lieu à une myriade de théories sur des interactions supposées entre le Christ et Bouddha ou Mahomet, le Moyen-Age est perçu comme l’ère des alchimistes, l’apogée des traditions de sorcellerie et de l’omniprésence du religieux, et la créativité des interprétations ne connaît pas plus de limites que les théories sur l’Atlantide ou Lémurie.

Notes
354.

Entretien avec Patrick (11-02-2002), question 11.

355.

M. Brown, The channeling zone, M. J. Ferreux, Sociologie des Imaginaires et Pratiques du New Age .

356.

M. Brown, The Channeling zone, p. 98.