2. La technologie

Le mouvement New Age est également tiraillé entre son attrait pour les nouvelles technologies et sa fascination avec la sagesse ancienne, entre la science occidentale et le mysticisme oriental, entre le monde confortable de la science-fiction et un univers « naturel » (préindustriel).

Un certain nombre de participants est d’ailleurs sincèrement déstabilisé, angoissé, voire effrayé par les développements scientifiques. L’informatique, la cybernétique et la génétique sont quelques-uns de ces mots qui fascinent et effrayent dans le même temps. La position du New Age est d’autant plus ambiguë, qu’il utilise des éléments de la modernité dans le processus qui lui permet de se légitimer. La science, et la pensée rationaliste sont deux outils que la « nouvelle conscience », dans un élan paradoxal, s’approprie en les décriant.

Le New Age, qui par bien des aspects décrie les dérives technologiques et l’approche scientifique, utilise aussi la science pour se justifier. Ainsi, le New Age rejette le stress généré par la vie moderne, et se méfie de nombre d’inventions technologiques. Un certain nombre de « chercheurs spirituels » évitent de se servir de four micro-ondes, utilisent des shampoings et savons « naturels », sans produits chimiques, et de manière générale pensent que la science nous a apporté tout ce qu’elle peut, qu’il est temps de passer à un autre mode d’exploration du monde.

Cependant, les découvertes scientifiques qui abondent dans le sens de la « nouvelle conscience » sont récupérées, louées et exploitées. Ainsi, une partie de la crédibilité de M. Ferguson 380 vient du fait qu’à l’origine sa démarche était celle d’une journaliste scientifique : « In the early 1970s, while researching a book about the brain and consciousness, I was deeply impressed by scientific findings demonstrating human capacities well beyond our idea of “the norm.” » 381

La physique quantique* - ou en tous cas une version simplifiée et popularisée – est souvent utilisée pour justifier la théorie selon laquelle « chacun crée sa propre réalité ». En effet, en ce domaine il semble qu’à l’échelle de l’infiniment petit, les attentes de l’observateur influent sur le phénomène observé, l’on peut donc dire par un raccourci populaire que le scientifique « crée la réalité ». La recherche sur le cerveau, en particulier sur le « biofeedback » a prouvé que les humains pouvaient contrôler des processus internes que l’on croyait inconscients, comme le rythme des battements du cœur, ou le type d’ondes dans le cerveau (alpha ou bêta). Pour les New Agers, cela signifie avant tout que l’on n’a pas fini de découvrir quelles étaient les capacités de l’humain, et permet de jeter le discrédit sur toutes les affirmations scientifiques qui assurent que la télépathie, et autres éléments paranormaux n’existent pas.

La théorie des systèmes a établi les limites de l’utilisation analytique du cerveau gauche, démontrant que certains phénomènes ne peuvent être compris par un processus analytique. Ainsi, le holisme se trouve une justification scientifique, de même que l’accent mis sur l’utilisation du cerveau droit. Enfin, de récentes avancées dans la théorie de l’évolution, qui impliquent qu’elle se produit non pas de manière linéaire et progressive mais par bonds, implique au niveau humain la possibilité d’une transformation massive et subite.

Les New Agers critiquent la science et la technologie, et veulent éviter que la science pénètre tous les niveaux de la vie, cependant ils utilisent dans le même temps les recherches et les questionnements de la science afin de se légitimer. M. J. Ferreux résume ainsi ce paradoxe : « Les adeptes New Age critiquent la science et la vision rationaliste et matérialiste du monde moderne et recherchent l’approbation scientifique 382

Par ailleurs, la « nouvelle conscience » utilise aussi la démarche rationnelle qu’elle condamne. En effet, face à un grand nombre d’incrédules – qui parfois aimeraient pouvoir croire – les processus scientifiques empiriques et déductifs sont mis à contribution pour justifier et légitimer les pratiques du New Age. Ainsi, plusieurs groupes du New Age ont utilisé la démarche scientifique pour prouver leur efficacité. C’est le cas du Yoga Himalayen. En effet, Swami Rama, qui a introduit ce type de yoga aux Etats-Unis, s’est prêté à nombre d’expérimentations scientifiques. G. Thursby note que ces expériences visaient à enregistrer son fonctionnement physiologique : « brain waves, heart action and blood flow, respiration, muscle tension, skin resistance and potential, and temperature ». 383 Au cours d’une série d’expériences fastidieuses, il a prouvé à des scientifiques qu’il pouvait contrôler sa température corporelle, le rythme des battements de son cœur, et les ondes émises par son cerveau. Ceci avait pour objectif, selon Swami Rama, de permettre de transplanter des traditions himalayennes en Occident. La démarche scientifique, pour lui vide de sens, n’en était pas moins nécessaire pour convaincre un auditoire aux schémas mentaux plus cartésiens et rationalistes. Les résultats de ces expériences ont été en partie décrits dans le livre Beyond Biofeedback, par Alyce et Elmer Green, et la crédibilité gagnée par Swami Rama lui a permis d’ouvrir dans les années 1960 et 1970 des « Instituts de l’Himalaya » dans plusieurs pays, y compris aux Etats-Unis.

De même, les pratiquants de la Méditation Transcendantale* justifient leur pratique par les avantages pragmatiques et immédiats qu’elle procure. Le but final de la Méditation Transcendantale reste un idéal de régénération spirituelle, cependant, pour parvenir à toucher un public plus varié, l’accent est mis sur les effets positifs dans la vie quotidienne. Le mouvement a ensuite fondé un parti politique qui s’est présenté aux élections présidentielles de 1992, se décrivant comme le seul parti politique américain à être fondé uniquement sur des principes et une recherche scientifiques.

Au quotidien, le mouvement tente d’attirer des recrues en citant l’impact bénéfique de la pratique de la méditation sur la santé des pratiquants. A titre d’exemple, il est souvent cité qu’une compagnie d’assurance vie des Pays Bas offre une réduction de 30% pour ses clients qui pratiquent la Méditation Transcendantale. Le site Internet annonce :

‘The TM programme, practiced by million people world-wide, is a simple, natural, effortless technique. Its effectiveness has been validated by over 500 scientific studies at more than 200 independent research institutions in 30 countries. 384

Ainsi, un grand nombre de mouvements qui se disent dépasser le niveau scientifique et intellectuel, n’en viennent pas moins à utiliser la démarche rationaliste afin de convaincre un public. L’on peut donc imaginer que ce public, une fois converti par les résultats scientifiques, se verra amené à remettre en question les principes mêmes de son engouement premier.

Cette imbrication complexe du rationnel et de la foi est un des points de rencontre entre science et religion annoncés par la nouvelle spiritualité. Le New Age s’est fondé en partie à la suite de découvertes en physique quantique, en psychologie humaniste et en recherche neurobiologique. Les membres du New Age considèrent que les implications de ces découvertes convergent, tentent d’extrapoler des vérités au niveau philosophique, humain et planétaire. Il est à ce sujet intéressant de constater que nombre de scientifiques ou anciens scientifiques (ou pseudo scientifiques, d’après leurs détracteurs) font autorité dans le New Age : M. Ferguson (neurobiologie), Frijtjoff Capra (physique), Carlos Castaneda (anthropologie), Abraham Maslow* (psychologie), etc.

Les participants de la « nouvelle conscience » s’intéressent de près aux découvertes de la science des capacités humaines. La plupart d’entre eux croient que de nouvelles capacités humaines seront révélées et confirmées par la science, comme par exemple les ESP (Extra Sensory Perceptions), la télépathie, le channeling, ou la régression dans des vies antérieures. Ils se donnent comme vocation d’unifier les différentes branches scientifiques, trop spécifiques et cloisonnées, puis d’appliquer ce courant holistique unificateur au fossé qui sépare la science de la religion. J. Vernette expose ce programme :

‘Jusqu’ici, avec la spécialisation scientifique à outrance, chaque discipline était devenue une île. Les chercheurs avaient de plus en plus de difficultés à communiquer entre eux. Aussi l’une des tâches premières que se fixe la Conspiration d’Aquarius est-elle de faciliter des communications entre les domaines scientifiques apparemment les plus hétérogènes. Elle montrera ensuite comment le nouveau point de vue holistique est plus apte que l’ancien à offrir des explications satisfaisantes en maints domaines, en particulier en assurant des convergences entre la voie de la science et de l’intuition. 385

Ainsi, le dualisme est graduellement érodé, les connexions entre les deux visions du monde sont exploitées pour arriver à ce que J. Redfield nomme « a synthesis of the scientific and religious world views ». 386

‘Most of these churches deplore the divorce between science on the one hand and religion, ethics, mysticism, and philosophy on the other. They believe they are at the meeting point of these two approaches, feel themselves to be interdisciplinary in encompassing both, and feel all these branches of knowing are interdependent, not separate and exclusive. 387

Cette position de réunification entre science et religion revient parfois à affirmer la spiritualité de la science. En effet, le monisme du New Age étend l’adjectif « sacré » à tout ce qui est, y compris la technologie. Le relativisme total qui en résulte met donc sur le même plan cathédrales et garages, arbres et ordinateurs. C’est ce qui permet l’apparition de cyber-religiosité, notamment de cyber-paganisme.

L’une des dérives possibles de ce relativisme, consiste à tolérer, ou même à admirer des technologies potentiellement destructrices de l’environnement humain (informatique, nucléaire, etc.), si cher par ailleurs aux participants de la nouvelle conscience. De plus, il existe un mécanisme d’hypocrisie ou d’aveuglement, dans la mesure où ceux qui dénoncent avec virulence les industries lourdes polluantes, ou qui manifestent contre la déforestation, sont parfois les premiers utilisateurs de voitures, d’ordinateurs, ou de papier.

Notes
380.

auteur de The Aquarian Conspiracy.

381.

M. Ferguson, The Aquarian Conspiracy, p. 17.

382.

M. J. Ferreux, Sociologie des imaginaires et pratiques du New Age, p. 144.

383.

G. Thursby, “Hindu Movements Since Mid-Century: Yogis in the States” (pp. 191-214) in T. Miller (ed.), America’s Alternative Religions, p. 195.

384.
385.

J. Vernette, Le New Age, p. 93.

386.

J. Redfield, The Celestine Prophecy, p. 236.

387.

M. Leone and I. Zaretsky (ed.), Religious Movements in Contemporary America, p. xxx.