La relation de l’individu au divin (ou au « transcendant », ou au « cosmos », selon les conceptions) est souvent perçue dans le New Age comme directe et intime. La nouvelle conscience est proche du mysticisme et voit un engouement pour des modes d’accès immédiat aux anges, aux entités spirituelles, et divinités, par le biais du channeling, de la télépathie, des ESP (Extra-Sensory Perception*) et NDE (Near-Death Experience*). Dans le même temps, les séminaires, manuels et cours se multiplient dans le même domaine, et les notions d’ « initiation », de transmission complexe et inscrite dans le temps sont de plus en plus populaires. Le New Age voit ces deux tendances contradictoires se développer en parallèle, dans la lignée du débat entre nature et culture, entre inné et acquis, s’appliquant cette fois-ci à la communication avec le transcendant.
Dans la lignée du rationalisme et de l’utilitarisme américains, les New Agers parviennent à la conclusion que tout peut s’apprendre, que l’éducation permet de modifier non seulement la quantité, mais aussi la qualité du savoir. Cela s’exprime par la prépondérance des cours, qui s’appliquent désormais à ce qui était considéré comme spontané et intuitif. On peut, par exemple, apprendre à gérer ses relations affectives – le rationnel étend son emprise sur l’émotionnel ; apprendre à retrouver la spontanéité ; apprendre à penser ; apprendre à se relier au spirituel et à la voix du cœur. Le New Age dans son aspect le plus littéral revendique la capacité de l’homme à se transformer, à devenir Dieu, au moyen d’un apprentissage multiplié qui modèle le corps, l’esprit et l’âme. Ceci passe par de nouvelles méthodes, techniques et supports physiques (méditation, chant, drogues…)
D’autre part, on assiste au renouveau des expériences mystiques intuitives, des « Near Death Experiences » et autres phénomènes paranormaux qui s’offrent aux participants de la nouvelle conscience. La tendance est double, comme en témoignent les nombreux romans initiatiques (P. Coelho, D. Millman, Jonathan Livingston Seagull) : le chemin initiatique doit s’inscrire dans le temps (la durée d’une vie) pour se réaliser, mais les ouvrages tentent néanmoins de le faire partager à leurs lecteurs en une lecture (quelques heures).
Le débat entre éducation et intuition coïncide avec l’opposition entre raison et émotion, présente depuis le début de la colonisation au cœur de la société américaine. La modernité a vu la raison triompher jusqu’à maintenant, en sorte que la vision holistique constitue en partie un retour vers l’irrationnel et l’intuitif. Ce détournement de la technologie et cette suspicion à l’égard de la pensée rationaliste sont des courants présents dans la société contemporaine, comme le note J. Vernette :
‘[…] ce vieux fonds d’irrationnel ne fait-il pas partie de l’homme de toujours et son retour aujourd’hui ne traduit-il pas une réaction viscérale contre un désenchantement de la Nature qui l’a coupée de l’homme livrée à une exploitation anarchique de sa part ? La protestation du New Age contre le dictat de la raison et contre le matérialisme dialectique ou technicien ne représente-t-il pas une des données nouvelles et incontournables de la conscience occidentale contemporaine ? 413 ’Au sein de la « nouvelle conscience », cela s’exprime dans plusieurs domaines, en particulier par un discrédit de l’intellect et du raisonnement logique. Cette tendance s’avère d’ailleurs utile dans une construction rhétorique qui permet de faire face aux critiques formulées par des universitaires 414 (qu’elles s’appliquent au niveau logique, éthique, ou sociologique) : la réponse systématique est que la spiritualité « se situe à un niveau qui transcende et dépasse la conception intellectuelle ». D. Millman évoque les limites de l’utilisation de l’intelligence apprise à l’école :
‘Understanding is one dimensional. It is the comprehension of the intellect. It leads to knowledge, which you have. Realization, on the other hand, is three dimensional. It is the simultaneous comprehension of the ‘whole-body’ – the head, heart, and physical instincts. It comes only from clear experience. 415 ’De même, dans le Zen* et dans bien d’autres mouvements d’inspiration orientale, l’intellect est dévalorisé au profit du cœur. En fin de compte l’intellect en tant que « mind » devient l’ennemi à combattre. La poursuite du nirvana* est envisagée comme une lutte incessante entre le « real self », ou soi cosmique, et l’intellect (par moments aussi appelé « ego »).
Le New Age répond au rationnel de trois manières : par l’irrationnel, par l’intuitif, et par le bon sens. Dans la première catégorie, l’usage des cristaux, par exemple, a été officiellement reconnu n’avoir aucune validité scientifique. L’usage de l’intuition regagne ses lettres de noblesse, en particulier dans un contexte où les « valeurs féminines » reprennent leurs droits, et les coïncidences deviennent un signe de spiritualité. Enfin, une critique de la pensée rationnelle et ses applications entraîne une résurgence de la notion de « bon sens », ou « sens commun ». Cette dernière acception en particulier se retrouve dans la pensée américaine contemporaine, comme le signale la popularité de l’ouvrage The Death of Common Sense, de P. Howard. 416 L’auteur y explique :
‘Rationalism looms before us with more logic and reasons than we can possibly respond to, demanding almost all our energy, but ultimately not making any sense. We must kill it again. 417 ’Le New Age exploite cette rhétorique de l’absurde générée par la modernité et la rationalisation à outrance. Il préconise un retour aux traditions qui, pour imparfaites qu’elles soient, n’en sont pas moins fonctionnelles et polies par l’usage au cours des ans et des siècles. Ce retour du bon sens comporte aussi des dangers. En effet, le sens commun, comme son nom l’indique, représente le sens que le commun des mortels donne aux événements, et il peut donc conduire à une tyrannie de l’opinion publique, opprimant les minorités. Ne plus faire appel à son raisonnement personnel pour s’en remettre à l’opinion partagée par le plus grand nombre est en effet une tendance du New Age, comme le remarque M. J. Ferreux :
‘On peut se demander si cet ensemble d’idées toutes faites, partagées par les membres New-Age ne constitue pas paradoxalement à son objectif un enseignement dogmatique? Car la plupart des personnes ne lisent pas d’ouvrages ésotériques et se réfèrent à des «vérités toutes faites» sans explication spirituelle. 418 ’Le bon sens, en réaction au rationalisme, perçu comme une dérive de la pensée moderne par les participants de la nouvelle conscience, représente donc une menace pour celle-ci : il génère une forme de superficialité, mais également peut s’opposer à un fonctionnement démocratique. Nous allons voir quels sont les enjeux qui font osciller le New Age entre structure démocratique et élitiste.
J. Vernette, Le New Age, Que Sais-Je?, pp. 122-123.
P. Heelas, et nombre d’autres universitaires, proposent une interprétation critique du New Age.
D. Millman, Way of the Peaceful Warrior, p. 26.
Philip K. HOWARD, The Death of Common Sense, New York, Warner Books, 1994.
Ibid., p. 53.
M. J. Ferreux, Sociologie des imaginaires et pratiques du New Age, p. 396.