Si la structure et parfois la thématique du New Age ne sont pas toujours aussi démocratiques que l’on pourrait l’attendre, la vocation première du mouvement demeure néanmoins ce « changement de paradigme » qui doit amener un monde meilleur, plus juste et plus égalitaire, et où les fléaux que sont la guerre, la famine, et les épidémies auraient entièrement disparu. Ces belles intentions s’accompagnent d’ailleurs d’un optimisme et d’une véritable foi qui rendent parfois l’action politique et sociale superflue, voire à proscrire.
Pour les adeptes de la « nouvelle conscience », en effet, le temps de l’action militante est révolu et remplacé par un nouveau mode d’action. L’objectif final de transformation du monde demeure inchangé, dans la mesure où les New Agers reconnaissent qu’un changement est nécessaire à une échelle planétaire. Le monde tel que nous le connaissons souffre de trop de maux : faim, pauvreté, maladies, guerres, mais aussi au niveau écologique, dévastation, pollution, et déséquilibre climatique.
Pour atteindre son objectif de guérison de la planète, le New Age fait appel à des concepts : optimisme, « positive thinking* » ; et à des pratiques : méditation, augmentation des vibrations grâce aux cristaux enterrés dans le sol ; toutes ces pratiques se situant au niveau de l’individu. En effet, l’action se situe maintenant au niveau personnel, c’est-à-dire que l’on transforme le monde en se transformant soi-même. Il s’agit avant tout de modifier les mentalités. Dans nombre de domaines, l’effort qui était auparavant mis à changer les conditions physiques et sociales (manque de nourriture, de médicaments, lois iniques,…) s’applique maintenant à transformer la façon dont de telles réalités sont perçues. En agissant sur les perceptions de chacun, le New Age espère créer des conditions qui permettront aux actions d’avoir un poids réel.
Une telle ligne d’action repose sur le concept que « chacun crée sa propre réalité », idée qui est acceptée dans un sens figuré (la façon dont chacun comprend la réalité, est affecté par elle et réagit par rapport à elle, dépend d’un choix personnel et peut être modifiée) ; et aussi, plus curieusement dans un sens premier. En prenant appui sur la physique quantique*, où l’on observe qu’à une échelle infiniment petite, les attentes de l’observateur influent sur les phénomènes observés, le New Age veut croire qu’à l’échelle humaine chacun crée sa réalité, donc le monde autour de soi, la souffrance, la guerre, etc. Dans son best-seller The Way of the Peaceful Warrior, D. Millman exprime cette règle :
‘It is better for you to take responsibility for your life as it is, instead of blaming others, or circumstances, for your predicament. As your eyes open, you’ll see that your state of health, happiness, and every circumstance of your life has been, in large part, arranged by you – consciously or unconsciously. 435 ’La « nouvelle conscience » lutte donc contre un sentiment d’impuissance paralysant, lutte qui s’avère efficace lorsqu’elle s’attaque à des problèmes qui découlent surtout des attitudes mentales d’une population ; cependant cela implique que tous aient la volonté de changer – donc déjà conscience du problème. E. Schur prend l’exemple du racisme pour démontrer ce point de vue :
‘Encounter techniques have special pertinence in this area because many of our attitudes and feelings on racial matters are so heavily built up around misunderstandings and stereotypes. That a favorable change might occur through direct confrontation seems supported by the “contact hypothesis” sociologists advance. […]’ ‘Even where effective[,] this approach touches merely the individuals involved. Neither the institutionalized sources of racial attitudes, nor the broad structures that shape the relative situations of blacks and whites, are affected. Interracial problems have many aspects that simply cannot be reduced to the arena of direct interpersonal contact. 436 ’Le processus à l’œuvre consiste à changer les individus pour arriver à modifier une situation globale, ce que E. Schur appelle : « the conversion of social discontent to personal inadequacy. » 437
Cependant, l’objectif du New Age et des Nouveaux Mouvements Religieux reste bien souvent une action humanitaire à l’échelle planétaire. E. Barker note que « many of the movements do have such an ambition [to change the world] » 438 . D. Stone remarque que la Méditation Transcendantale*, tout comme est*, s’est attelée à une tâche de régénération du monde :
‘TM’s Maharishi Mahesh Yogi has proclaimed a world plan “to eliminate the age-old problem of crime and all behaviour that brings unhappiness to the family of man.” Werner Erhard, founder of est (Erhard Seminars Training), has committed himself to the worldwide elimination of death by starvation within 20 years. 439 ’Nous avons donc là des idées très générales – qui séduisent les participants – mais qui ne s’articulent pas sur des pratiques organisées visant un changement, à part bien entendu la pratique centrale du New Age « se transformer soi-même pour transformer le monde ». Dans une analyse plus détaillée, M.C. Ernst note que :
‘En toute modestie, le World Plan [organisation centrale et officielle de la Méditation Transcendantale] s’est fixé sept objectifs:’ ‘- développer le potentiel de l’individu dans sa totalité;’ ‘- améliorer les réalisations gouvernementales;’ ‘- rendre effectif un idéal d’éducation;’ ‘- éliminer le problème de la criminalité ainsi que tout comportement nuisible au bonheur de l’homme;’ ‘- optimiser l’usage intelligent de l’environnement;’ ‘- satisfaire les aspirations économiques de l’individu et de la société; ’ ‘- réaliser les objectifs spirituels de l’humanité. 440 ’Le principal (et unique) moyen mis en œuvre par la Méditation Transcendantale est le développement de sa méthode de méditation. De même, est* a choisi de s’attaquer au problème de la faim dans le monde (ce qu’ils escomptaient réaliser en vingt ans). ISKCON vise à étendre la Conscience de Krishna au plus grand nombre de personnes possible, un processus qui amènera la paix dans le monde, et la fin de tous les problèmes actuels. Le New Age est aussi l’espoir qu’un monde meilleur naîtra avec l’ère du Verseau. Le programme est vaste : « save the environment and democratize the planet and feed the poor » 441 . Si de telles intentions manifestent un humanisme bien compris, la façon dont elles sont appliquées n’en prête pas moins à controverse. Nous voyons ici les limites de ce nouveau paradigme.
Au niveau personnel également, certains tenants de la théorie selon laquelle chacun crée sa propre réalité, posent problème. En effet, cela ne laisse guère de place pour la réalité telle qu’elle est perçue par l’autre, et cela évite d’avoir à l’objectiver, donc à la transformer. W. Hanegraaff cite à cet effet les paroles de Shirley McLaine telles qu’elles sont exprimées dans son livre It’s All in the Playing, lorsqu’elle réalise pleinement les implications de ce concept :
‘I was beginning to understand what the great masters had meant when they had said “you are the universe.” If we each create our own reality, then of course we are everything that exists within it. Our reality is a reflection of us. ’ ‘[…] I knew I had created the reality of the evening news at night. It was in my reality. But whether anyone else was experiencing the news separately from me was unclear, because they existed in my reality too. And if they reacted to world events, then I was creating them to react so I would have something to interact with, thereby enabling myself to know me better. 442 ’Ainsi cette logique, poussée à son extrême, nie la réalité d’autrui et ramène tout à soi sur le mode du solipsisme. En ce sens, toute possibilité de communication interpersonnelle réelle disparaît, et le monde se limite pour chacun à ce qu’il veut y inclure.
On peut donc constater que le Nouveau Paradigme, à l’œuvre dans le New Age, se fixe des objectifs de transformation du monde en une utopie égalitaire, cependant les méthodes qu’il se donne laissent dubitatif quant à leur efficacité. On a parfois affaire à une escroquerie post-moderne (mais qui a existé bien avant le post-modernisme).
D. Millman, Way of the Peaceful Warrior, p. 37.
E. Schur, The Awareness Trap, p. 167.
Ibid., p. 99.
E. Barker, New Religious Movements, p. 28.
D. Stone, “Social consciousness in the Human Potential Movement”, p. 216.
M. C. Ernst, Le mouvement religieux contreculturel, p. 92.
J. Redfield, The Celestine Prophecy, p. 226.
W. Hanegraaff, New Age Religion and Western Culture, p. 233.