Télévision

La télévision permet une diffusion étendue qui combine avec brio le fond et la forme du message. Le New Age se distingue peu de l’ensemble de la société dans ses rapports à la télévision, marqués par une large palette d’attitudes : mépris, condescendance envers un média démagogue, appréciation d’un potentiel, jusqu’à la glorification. Parmi les érudits, tout comme les anciens membres de la contreculture, on observe un mépris instruit et intellectualisé de ce mode de communication primaire, au service des décideurs et politiques et surtout des grands magnats de la communication, qui véhicule des informations souvent peu vérifiables et vérifiées, et qui nécessite des moyens importants. La télévision, outil moderne, est aussi accusée de nous couper de la relation avec l’environnement naturel, et de créer une dépendance – comme l’ensemble de la technologie d’ailleurs.

Cependant, la télévision tisse des liens étroits avec le New Age et en particulier la crédibilité et la banalisation croissante du paranormal. On ne peut ignorer la concordance entre la popularité du paranormal dans la population américaine (cf. supra, Chapitre IV.B.1.) et la vogue des émissions et feuilletons télévisés traitant de ce phénomène. Des séries comme Buffy, the Vampire Slayer, The X-Files, (et plus ancien, The Adams Family, Bewitched) banalisent la magie et sorcellerie, les intègrent au plus intime de la vie quotidienne, et présentent parfois l’aspect ludique ou comique du surnaturel. Le paranormal, dédramatisé et désacralisé, s’introduit ainsi dans le quotidien des Américains par le biais de la télévision. Cela témoigne d’une forte survivance du paralogique dans une société pourtant technophile. L’engouement récent pour le paranormal ne coïncide pas exactement avec le New Age, dans la mesure où certains New Agers n’encouragent pas une vulgarisation simpliste et réductrice de phénomènes qu’ils estiment relever du sacré, et où bon nombre de croyants en l’occulte n’adoptent pas les thèses de la nouvelle conscience. Néanmoins, cette tendance participe à la création d’un terreau favorable à l’épanouissement des idées New Age et à sa diffusion dans la société.

Enfin, il existe également au sein du New Age une glorification érudite de la télévision, liée à l’importance du visuel et de l’imagé, à l’engouement pour l’expérience vécue et l’immédiat. Ce média fonctionne en lien avec le « cerveau droit », c’est-à-dire qu’il procède plus par analogie que par rationalisation, plus par induction que par déduction, qu’il fait appel à l’imaginaire et à l’intuitif. Il se situe à l’opposé de l’écriture, mode analytique et qui morcelle, par le découpage en paragraphes, en phrases, en mots et en lettres l’information. C’est l’hypothèse que défend L. Shlain, dans The Alphabet Versus the Goddess, liant l’apparition de la télévision et l’orientation New Age de la génération du baby-boom, première génération à avoir grandi devant l’écran :

‘Demographic bulges, the Vietnam War, and affluence have all been cited as contributing causes for the outrageous phenomenon that was the sixties. However, the never-blinking, ubiquitous cyclopean television eye was the most overarching influence behind that generation’s passionate involvement in Civil Right marches, the anti-war movement, psychedelic experimentation, the Native American rights movement, the Peace Corps, ecology awareness, the back-to-the-earth movement, reinvigorating of the democratic process, communal living, the human potential movement, and women’s equality. 455

Si au niveau des structures mentales, le média influence les macro systèmes de notre logique et de nos paradigmes de pensée et d’action, au niveau plus prosaïque de notre comportement quotidien, la télévision et ses règles modèlent ceux qui l’utilisent, et ce tout autant lorsqu’il s’agit de religiosité que de commerce. Le New Age, tout comme nombre d’autres religions, fait usage de ce média. A l’instar des télévangélistes protestants, les gourous concernés (D. Chopra, par exemple), se soumettent aux règles édictées par les fins ultimes de l’audimat et de la publicité. J. Gutwirth décrit les pressions que fait subir le médium à l’utilisateur, dans le cas des télévangélistes :

‘Même les télévangélistes utilisant simplement le média en tant que clients des stations, networks et câblo-opérateurs, sont soumis à de fortes pressions financières car ils doivent sans cesse négocier des temps de passage favorables, honorer des échéances de paiement, etc. D’où, chez tous, la course aux donateurs, grands et petits, et, chez beaucoup, l’effacement des admonestations et prédications annonçant « enfer et damnation » aux téléspectateurs-pêcheurs. Au contraire, l’indulgence a largement cours, à quelques notables exceptions près. 456

Les New Agers qui font usage de la télévision subissent les mêmes dénaturations, doivent eux aussi se soumettre aux lois du marché, et orienter leurs discours vers une tolérance et un relativisme encore plus démesurés. Si le New Age souhaite étendre son influence à toutes les sphères de la société, il le fait au prix d’une compromission de même envergure.

Notes
455.

L. Shlain, The Alphabet versus the Goddess, p. 412.

456.

J. Gutwirth, “Religion televisee et business audio-visuel”, in Archives de Sciences Sociales des Religions, vol. 83, Juil-Sept 1993, p. 82.