L’Internet connaît un grand succès dans la nouvelle spiritualité auprès de ceux qui se veulent pionniers de la communication et du New Age. Le mode d’organisation du réseau cybernétique est un modèle et un reflet de celui de la nouvelle conscience : le déplacement par « lien » (« links »), la structure en « toile d’araignée » (« web ») correspondent à la structure du mouvement New Age, ou du moins aux aspirations de ce dernier.
L’Internet confère une aura de modernité et prestige, et il représente le moyen le plus rapide et efficace d’entrer en communication avec n’importe quel groupe. Tous ont d’ailleurs de magnifiques sites, ISKCON, Chopra Center, Méditation Transcendantale*, même le livre The Celestine Prophecy. Toutefois, si l’Internet excelle à relier des petites communautés, ou à donner de l’importance à de petits groupes, ce n’est pas un moyen de prosélytisme très efficace. W. Bainbridge note à ce sujet :
‘Such things as magazine advertisements, radio broadcasts, and now Web home pages are called “disembodied appeals,” and research on earlier varieties indicated that they are not an effective means of recruitment. 457 ’Pour certaines traditions, et notamment les courants les plus individualistes et les plus diffus, ainsi que les plus intellectualisés, l’Internet peut servir de medium de recrutement. Il ne s’agit pourtant pas d’un « recrutement » ordinaire, dans la mesure où c’est une initiative de l’intéressé, qui a auparavant déjà eu connaissance du mouvement (parfois dans la presse, ou par le bouche-à-oreille), qui choisit de se documenter, puis éventuellement de s’initier par le biais de l’Internet. Ce type de cheminement crée des pratiques extrêmement personnalisées. Les expressions religieuses qui présentent un aspect social ou des rituels de groupe ne peuvent se satisfaire de ce mode de communication, ou du moins le réduisent à ni plus, ni moins que cela : un mode de communication parmi d’autres.
Le Satanisme est un exemple de tradition New Age qui est individualiste et solitaire à l’extrême, au point qu’il est difficile d’employer le terme « religiosité » pour le définir. Il s’adresse plus particulièrement aux adolescents de sexe masculin, et toutes ces caractéristiques justifient que cette tradition fasse un plus grand usage de l’Internet que la plupart des courants du New Age. Cependant, seulement 12% des adeptes ont été introduits et/ou convertis au Satanisme par le biais Internet 458 , alors que ce médium est très présent en tant que mode de communication interne, comme le révèle R. Lewis :
‘Eight-five respondents never meet with other co-religionists for religious/ritual purposes, thirty one rarely, and everyone else ran the gamut from one or two times a year to every week. In other words, more than eighty percent of all respondents rarely or never meet with co-religionists for religious/ritual purposes.’ ‘Finally, the Satanist community is an internet community. While more than half of all Satanists do not meet with their coreligionists face-to-face, Fifty-eight communicate with others in talk rooms or via e-mail on a daily basis and another thirty one communicate frequently. This finding is congruent with the scattered geographical distribution of Satanists. 459 ’Ce média excelle donc principalement à relier entre eux les participants de la « nébuleuse », et à renforcer ou développer les idées qui circulent déjà. Il combine l’écrit et l’image mieux que n’importe quel autre support, et s’adapte au raisonnement analogique, à l’organisation non-hiérarchisée du New Age.
Ces tendances sont parfois poussées à leur extrême, en particulier lorsque convergent le New Age et Internet, étant donné que l’un comme l’autre encouragent un relativisme absolu et une disponibilité presque mercantile des idées. Sur Internet, toutes les informations se trouvent sur le même plan : travaux de scientifiques, théories du complot les plus démagogues ou infondées, prosélytisme… Sur Internet, domaine régi en partie par une « loi du marché » de l’information, la rapidité d’accès et la capacité à attirer l’attention des internautes deviennent des critères plus importants que la qualité intrinsèque ou la véracité. Cette indiscrimination correspond à la théorie des coïncidences dans le New Age. Si tel événement ou telle information survient plutôt qu’un(e) autre, c’est un signe du destin, cela correspond à une nécessité, cela a un sens précis à un moment précis. (plutôt qu’à une stratégie marketing réussie). P. R. Koenig dénonce ce travers :
‘On the Internet, everything gets reduced to a uniformity of typefaces, formatting, and style. Slipping into this discorporated astral existence is experienced by some occultists not only as the fulfillment of the 'Great Work', but as a concomitant sense of being parasitised or eaten up, with a dramatic loss of energy; for them, it is as if the Internet has become an evil vampire. The processing and assimilation of all the data becomes one-dimensional, a road you can't seem to get off: mental consumption alongside physical stiffness. 460 ’Pour une partie des New Agers, Internet, de simple média, devient une fin en soi, un véritable univers qui ne se contente pas de véhiculer la spiritualité mais devient lui-même objet de culte. En effet, l’adéquation de ce réseau omniprésent, omniscient, ultramoderne et au fonctionnement mystérieux avec les principes du New Age et de la conception du divin, en fait un synonyme, à la fois miroir et réceptacle, de l’univers, de l’insaisissable et du potentiel de transformation de l’homme. Internet est apparenté au potentiel illimité des machines et plus précisément des ordinateurs, aux développements ultimes de l’intelligence artificielle, de la théorie du chaos, ou de la physique quantique*. La peur et l’incompréhension que provoquent ces développements récents de la science apparentent parfois tout ce qui touche au « cyber » ou à l’informatique au concept de R. Otto de « mysterium tremendum », composante du sacré :
‘We have been attempting to unfold the implications of that aspect of the mysterium tremendum indicated by the adjective, and the result so far may be summarized in two words, constituting, as before, what may be called an ‘ideogram’, rather than a concept proper, viz. ‘absolute unapproachability’. 461 ’En cela, l’attitude de certains membres du New Age s’apparente à une forme d’animisme, la révérence appliquée ordinairement au divin s’appliquant alors aux machines (ordinateurs en particulier) et à des outils scientifiques matériels et immatériels. Toutefois, cette attitude demeure plus l’exception que la norme parmi les participants, les attitudes les plus répandues étant beaucoup moins spécifiques (soit l’utilisation en tant qu’outil et moyen de communication, soit une certaine réticence, due au dégoût ou à une peur de la technologie, à en faire usage).
W. S. Bainbridge, The Sociology of Religious Movements, p. 154.
R. Lewis, “Who Serves Satan? A Demographic and Ideological Profile” in Marburg Journal of Religion, vol. 6 no 2, Juin 2001, p. 5 (Table 7).
R. Lewis, “Who Serves Satan?”, p. 5.
P. R. Koenig, “The Internet as illustrating the McDonladisation of Occult Culture”, in The Spiritual Supermarket: Religious Pluralism in the 21st century, 2001 International Conference, London, organized by INFORM and CESNUR, April 19-22, 2001.
R. Otto, The Idea of the Holy: an inquiry into the non-rational factor in the idea of the divine and its relation to the rational, (1917), p. 19.