Les symboles

La société contemporaine américaine (tout comme l’ensemble des sociétés modernes) n’est plus unifiée par un seul système symbolique partagé par tous, et en cela illustre les analyses de Durkheim des sociétés modernes, comme le fait remarquer F. Westley :

‘Durkheim’s analysis of Elementary Forms described a cohesive culture, all members of which participated in an overarching symbol system. Modern society (particularly contemporary society) presents a picture of religious and cultural plurality with little consensus about symbols. 468

Cependant, le symbolisme se développe dans le New Age, sur un mode nouveau. Les cartes postales présentées en annexe IV.5., en particulier « Enchanted Universe », de Josephine Wall, constituent un bon exemple de cette surcharge symbolique à la signification réduite. Le château de cristal, la chouette, le cor, la fleur d’hibiscus, le colibri, le loup, le couple médiéval, la plume-boucle d’oreille, les papillons de nuit, la planète inhabitée, la rivière, les montagnes, la forêt, les couleurs de l’arc-en-ciel, le personnage féminin… autant d’éléments qui évoquent des univers clés dans le New Age (spiritualité amérindienne, Moyen-âge, lien avec la nature, science-fiction) mais dont aucune interprétation ne peut être dégagée. Les symboles se succèdent et s’entremêlent sans nous laisser accéder au sens. L’ambiance de conte de fées prédomine, mais aucun conte en particulier n’y est lisible.

Si dans un tableau du Moyen Age chaque élément représentait quelque chose de précis et pouvait être « lu » de manière univoque 469 , dans la société américaine contemporaine, les symboles ont une valeur – ils sont reconnus comme véhicules du sens – mais ils sont rarement lus. Tout concorde à ajouter de la valeur affective à une œuvre New Age, mais peu de sens réel.

Cet ensemble symbolique permet également d’identifier immédiatement ceux qui participent (« those who belong ») des autres. Cependant, la surcharge significante des symboles mine l’efficacité de ces signes de reconnaissance. En effet, lorsqu’un symbole comme le dauphin peut aboutir à au moins quatre interprétations (« je suis un New Ager », « je crois que je peux communiquer avec les dauphins », « j’aime les dauphins », « je lutte pour la préservation des dauphins »), il devient risqué de s’aventurer à décrypter le message avec des inconnus. Peggy raconte comment, à cause de l’autocollant arc-en-ciel qu’elle a mis sur sa voiture pour marquer son soutien à la cause tibétaine, elle s’est fait accoster plusieurs fois par des homosexuels qui l’invitaient à des soirées 470 , l’arc-en-ciel étant à la fois le signe de reconnaissance de la communauté « gay », des tribus de non-Indiens – Rainbow People – et de la cause tibétaine, entre autres).

Cette défection du sens au profit de la valeur affective du symbole gagne du terrain dans la « nouvelle conscience », dans un processus de trivialisation, que souligne H. H. Bro :

‘Perhaps it is not surprising—though certainly sad—that the signature of the New Age in art is so often stylized figures amid an auric haze of shafts and swirls of light and color, minus shadows of serious evil, and without evocations of prized values in conflict. Or that New Age music is so often mere musing with trivial, repetitious harmonies and avoidance of meaningful dissonance or strong minor keys in favor of half-conceived melodies and toying with timbres. All is relaxing and preparation for elevation of consciousness toward a divine Reality which demands little serious change. 471

Les différents outils de communication utilisés par le New Age convergent vers un impact maximal et une efficacité optimisée, parfois au prix d’un appauvrissement du contenu. L’Internet, avec son fonctionnement en réseau, voit se développer des liens multiples – le foisonnement, la pluralité, sont embrassés et recherchés en tant que tels. Les images sont un outil de communication privilégié au sein de la « nouvelle conscience », justement parce qu’elles sont, par essence, polysémiques et fluides. Mais leur utilisation, de manière finalement assez peu novatrice, et contrairement à ce que l’on pourrait attendre, renforce les éléments d’aliénation liés à l’apparence. On voit un retour des symboles, plus largement répandus qu’au cours du siècle, mais qui perdent de leur poids sémantique. Il semble qu’il ne peut en être autrement d’images qui se présentent comme telles. Une image ne peut se contrôler que dans un système complet (comme c’est le cas au Moyen Age, cf. supra), qui lui donne son sens, presque univoque. Ici on est, comme dans la post-modernité en général, dans un monde de l’image, donc de l’absence de sens.

Le New Age – en raison de sa perception très fluide de ce qui constitue « la vérité » – est un objet flou et difficile à appréhender. Si les New Agers partagent une même vision du monde dans ses plus grandes lignes, plusieurs points conceptuels et pratiques posent problème. En témoignent les importantes variations au sein de la théologie, en particulier sur plusieurs concepts qui constituent de véritables pierres d’achoppement. Dans la pratique et dans l’organisation du mouvement, la même tension se manifeste, souvent selon des lignes de partage déjà présentes dans la société américaine (tension entre raison et sentiments, entre élitisme et démocratie, entre accumulation de richesses et ascétisme).

Notes
468.

F. Westley, The Complex Forms of the Religious Life: A Durkheimian view of New Religious Movements, 1983, p. 1.

469.

Toutefois, la question se pose de savoir si cette unité a jamais été possible au-delà du petit groupe social.

470.

Entretien avec Peggy, 26-04-2000.

471.

H. H. Bro, “New Age Spirituality: A Critical Appraisal”, (pp. 169-195) in D. Ferguson (ed.), New Age Spirituality, p. 174.