Culte du corps et de la beauté

Une dérive possible de cette revalorisation du corporel, est une tendance narcissique au culte du corps, et par là de la beauté plastique. Dans le New Age où rien n’est laissé au hasard, le physique devient le reflet de l’âme, et c’est ainsi que l’on assiste à de nouveaux schémas de discrimination, à la fois plus flagrants et justifiés de manière plus érudite.

La Californie du Sud, qui a lancé le concept de « body-building », avec en particulier « Muscle Beach » à Los Angeles, a acquis une solide réputation d’avant-gardisme dans le culte du corps, et par extension la notion de « bien-être », au sens propre du terme (être bien dans son corps). L’implantation de Hollywood et du monde du « show-business » en général, viennent renforcer l’importance de l’apparence, dans une tradition plus « naturelle », moins sophistiquée que dans les capitales (New-York, Londres, Paris ou Rome). Hollywood joue d’ailleurs un rôle non négligeable dans la diffusion du New Age aux Etats-Unis. Le « channeling » a gagné ses lettres de noblesse ainsi que sa reconnaissance médiatique lors de la sortie du livre Out on a Limb, écrit par l’actrice Shirley MacLaine. D. Chopra, le « gourou des stars », doit sa popularité à certains de ses clients : Elizabeth Taylor, Winona Rider, Demi Moore, Oprah Winfrey et George Harrison.

Comme le serpent qui se mord la queue, encore une fois le New Age retombe dans les travers qu’il critique. En effet, si le corporel reflète le spirituel, cela implique que ce qui est beau, est bon, et vice-versa. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les New Agers apprennent à « lire » le visage. 474 Le thérapeute du New Age, sous couvert de réconcilier son client avec son corps, finit parfois par lui faire sentir une nouvelle aliénation. En effet, la « nouvelle conscience » elle aussi comporte un certain nombre de normes : souplesse, fluidité des mouvements, minceur (le Chopra Center propose un « Perfect Weight Program »). De plus, le corps finit par être de nouveau le réceptacle des tensions et problèmes. Il se retrouve donc stigmatisé une nouvelle fois. M. C. Ernst note à ce sujet :

‘Sous leur direction [celle des thérapeutes et leaders du MPH], le corps, qu’on suppose réhabilité, apparaît peu à peu comme la gangue de matière où se fixent les blocages et les tensions. Il finit par être tenu pour responsable de toutes les difficultés et de tous les défauts de la personne. Si le travail du corps est alors entrepris dans le but de libérer l’esprit, la dichotomie corps-esprit, que le MPH reproche à la tradition judéo-chrétienne, est donc rétablie. 475

L’enveloppe charnelle, qui est donc la clé et le symptôme de tous nos problèmes, se voit chargée d’un poids nouveau, d’autant plus qu’elle peut, si elle est bien gérée, fournir des atouts indéniables, au sein de la « nouvelle conscience » comme dans la société américaine. Dans un monde médiatique, où le New Age se commercialise par l’image, l’apparence est bien plus importante que l’on ne voudrait l’admettre. M. J. Ferreux note :

‘Dans le New Age, comme dans la modernité, le corps est investi à la façon d’un capital économique. Etre jeune, beau, est un facteur de réussite. Peut-on alors parler de libération du corps? Il s’agirait davantage d’aliénation ou d’emprise. On parle trop du corps pour être «libéré» dans un corps embelli, ou «corps sensation», même si les stages d’expression corporelle permettent de violer les interdits. 476

Le marché du « corporel holistique » (ou de la beauté spirituelle), en pleine expansion, reproduit et accentue également les inégalités économiques. Si comme le dit le proverbe, « à 50 ans on a le visage qu’on mérite », c’est également de plus en plus vrai que « on a le visage que l’on peut payer à son chirurgien esthétique ». Le modelage de l’enveloppe charnelle représente une composante non-négligeable du chiffre d’affaire de l’économie New Age, que ce soit par le biais de la diététique, des produits de beauté, des massages et soins offerts par les « spas », ou des pratiques sportives d’entretien (yoga, tai chi chuan*, arts martiaux allient le travail sur l’apparence et sur l’être).

Notes
474.

Catalogue de vente par correspondance Whole Life Products, p. 36, “What Your Face Reveals” : “The ancient Chinese perfected the art of face reading beyond simple body language and into a form of divination. The face is, after all, a window to the soul. It’s the part of our body we most identify with and it carries our most personnal traits.”

475.

M. C. Ernst, Le mouvement religieux contreculturel, p. 438.

476.

M. J. Ferreux, Sociologie des imaginaires et pratiques du New Age, pp. 164-165.