Syncrétisme

Le syncrétisme observé au sein de cette catégorie défavorisée est similaire aux mécanismes en action notamment dans les pays d’Amérique Latine. Il ne s’opère plus sur des bases intellectuelles mais plutôt de manière empirique. Les pratiques religieuses n’ont plus besoin d’être cohérentes, il suffit qu’elles fonctionnent de manière concrète et reconnaissable dans la vie des individus. John Lee évoque l’expérience qui lui a permis de continuer à combiner le néo-paganisme et le catholicisme :

‘I’m still a Catholic. But I remember when I first got initiated as a witch I was afraid to step into a church for my cousin’s wedding. You hear all these stories, you know, you hear stories that a witch cannot step onto holy ground, cause if she does, she will be struck by lightning. Yes, it’s old ways. But you know what? It was still imprinted there. And, I wouldn’t even go to the dress rehearsal. In the end, I went for the wedding. And I wasn’t struck by lightning, I’m still here. 506

Cependant, ces deux religions ne sont qu’une petite partie de ses engagements, puisqu’il se déclare également Bouddhiste*, membre de la Santeria et du Palo Mayombe. Certaines de ces appartenances encouragent par ailleurs cet éclectisme, notamment la Santeria. John Lee décrit les différents esprits qui l’accompagnent dans cette tradition, tout en donnant une indication de ce qui serait un schéma « classique » :

‘I’m very Asian in my way of thinking, very subservient. Of course I had a few Asian spirits, you know. Most Americans, all right, have at least one Indian spirit. Even if they don’t have any Indian in them ok, it’s because this is their land. I didn’t come up with one though. Most people who are in the tradition have a black spirit. Not me. I have a total fascination for Australia and New Zealand. It turned out at the very end, my last spirit was an aborigine. So that’s why I have this total fascination for that, you know. 507

Le même éclectisme pragmatique est à l’œuvre pour Kestrel, qui s’intéresse aux religions hawaïennes (et plus particulièrement le culte de Pele), aux traditions orientales, et qui a expérimenté la présence d’esprits et d’anges, a suivi les enseignements de est*, et enseigne dans la méthode Pilates. Pour citer un autre exemple, Leila, bien que membre actif du temple de Subud, est également membre de la First Spiritualist Church et consulte le livre d’Urantia. Le pragmatisme est à l’œuvre dans les moyens, mais également pour ce qui est des intentions. Le syncrétisme qui en découle n’est ni fabriqué ni érudit, il tient du bon sens et du pragmatisme. C’est également l’analyse proposée par C. Albanese :

‘For the Americans we studied in the alternative healing world seemed, clearly, embarked on a new spiritual program that applied essentially mystical notions of connection and correspondence between all things with pragmatic purpose and intent. The pragmatic application came by combining – by doing what the ancient cultures had done, to be sure, but doing it more intensely and with greater conscious intentionality. 508

Pour des Afro-américains et des personnes issues de l’immigration (ce qui est le cas des classes défavorisées) et plus particulièrement d’Amérique Latine où le métissage culturel connaît un grand succès, renouer avec des religiosités exotiques signifie également reconnaître l’échec du système « WASP ». C’est un processus de fierté ethnique qui est à l’œuvre, comme par exemple dans les populations afro-américaines pour qui les années 1960 ont vu un mouvement de retour vers les traditions africaines (plus ou moins réinventées et innovatrices). De plus, cela recréé de l’unité dans leur expérience, qui est dans une large mesure dé-structurée.

Même pour les blancs, leur identification aux héros solitaires et marginaux, leur méfiance envers le système américain, font que le choix de religiosités souvent pré-modernes et issues d’autres continents est un symbole d’échec du système qui les exclut. Leur impuissance à trouver une place dans la société américaine se traduit par le dédain des religions qu’elle propose au profit de modèles étrangers (et le plus exotiques possibles), qui offrent une voie de salut viable :

‘In the late romantic light of our postmodernity the “other” seems to beckon with the promise of better, more coherent spiritual goods to rescue us. And rescue seems the just-right word for what is going on. This is a salvation metamorphosed out of traditional theological categories and reconstituting itself in more and more self-conscious therapeutic terms. Sin and separation are both sickness in the new millennium, and separation is often understood as a separation of the parts of one's self. Rescue means healing, healing means restoring, and restoring means restitching and reintegrating the scattered and fragmented parts into one being – one person, one community, one nation. 509

L’organisation des croyances entre elles, de par ce pragmatisme et cet esprit pratique, relève plus d’une juxtaposition que d’une hiérarchie. La coexistence du New Age et d’autres religions s’effectue alors de manière libre, intuitive et égalitaire. En conséquence, toute notion de discernement est écartée. L’utilisation d’Internet illustre et encourage ce penchant : on y trouve de tout, l’érudition et la superstition se côtoient et rien n’indique à l’internaute non-averti les différences qualitatives qui existent entre les informations. Ce support permet également l’autodidaxie ; la production et la diffusion deviennent plus accessibles à tous.

Notes
506.

Entretien avec John Lee (20-02-2002).

507.

Ibid.

508.

C. Albanese, “The Culture of Religious Combining: Reflections for the New American Millennium”, in Cross Currents, vol. 16, Spring-Summer 2000, p. 3.

509.

Ibid.