Les métiers du New Age

Le système de croyances des « acteurs » du New Age constitue également leur source de revenus et leur milieu professionnel. C’est le cas pour Margaret, Diane, Linda, Hakeem, Michelle, Chris, et Susan. Cette catégorie comprend également des « praticiens potentiels », c’est-à-dire des New Agers pour qui la nouvelle spiritualité représente une alternative professionnelle (parfois inexploitée pour la simple raison que les personnes ont atteint l’âge de la retraite, parfois parce que d’autres sources de revenus satisfont leurs exigences). Beryl, Carolyn, Peggy et Ann sont dans l’un ou l’autre de ces cas de figure.

Les relations qu’entretiennent les « acteurs » avec le mouvement sont donc complexes et polymorphes. Le New Age constitue en effet à la fois leur cercle social, leur cercle professionnel, un réseau de clientèle et de fournisseurs, des connaissances théoriques et théologiques qu’ils tentent d’assimiler, et un domaine d’étude auquel ils souhaitent contribuer. Pour ces personnes le New Age joue avant tout un rôle de religion. Le fait qu’il constitue également une source de revenus est secondaire (chronologiquement et logiquement) mais prend souvent beaucoup d’importance par la suite. En effet, leur parole prend du poids (elles deviennent les porte-paroles du mouvement, au moins auprès du grand public, c’est-à-dire de leurs clients). Le choix de faire de sa spiritualité un métier revêt également un rôle économique, dans la mesure où la « justesse » de leurs paroles détermine leur niveau de revenus. Ainsi, leur rapport avec le savoir théologique se modifie.

Ce que D. Hervieu-Léger appelle « mouvements de rationalisation spirituelle » représente un attrait pour les personnes issues de la classe moyenne, puisque ces mouvements offrent une valorisation sociale :

‘Les mouvements de rationalisation spirituelle qui développent […] les approches les plus intellectuellement formalisées et les méthodologies les plus sophistiquées de la mise en ordre personnelle recrutent, de façon nettement privilégiée, des éléments des classes moyennes qui ont fait des études et sont imprégnés en profondeur par la culture moderne de l'individu et ses valeurs. L'accès à ces nouveaux savoirs – de genre souvent ésotérique – constitue même, pour les éléments les plus « négativement privilégiés » de ces couches moyennes, le moyen courant d’une valorisation personnelle de soi, susceptible de compenser l’écart mal vécu entre une formation culturelle relativement consistante et un statut social considéré comme peu gratifiant. L'intérêt massif des enseignants, des salariés du secteur médical et du travail social, des professionnels intermédiaires de la culture, etc., pour ces savoirs pourrait trouver, dans ce jeu compensatoire, une partie de son explication. 516

Le choix d’une carrière dans la nouvelle spiritualité revêt le même rôle. En effet, les « acteurs » sont souvent issus de ces mêmes milieux sociaux qui offrent une bonne éducation mais peu de moyens économiques. M. Brown remarque qu’il existe un différence visible entre le niveau de vie des channels et celui de leurs clients :

‘There is, however, a significant demographic split between the producers and the consumers of channeled information. The consumers – those who attend channeling workshops or seek individual counseling from channels – are well educated and affluent. Channels – the producers in this exchange – have educational backgrounds similar to their clients, but their economic situation is often precarious because of their unusual career. 517

Le prestige et le pouvoir économique (pour illusoires et/ou précaires qu’ils soient) que procurent de tels métiers sont donc bienvenus. Si le discours du New Age consiste à considérer chaque individu comme un être exceptionnel, le praticien New Age l’est à plus forte raison, puisqu’il a un statut privilégié parmi une communauté d’êtres exceptionnels.

Par ailleurs, la nouvelle conscience prône l’épanouissement et la réalisation de soi dans chaque aspect de la vie. L’argent n’a pas de valeur en soi, les professions aliénantes mais très rémunératrices perdent ainsi tout intérêt alors qu’il devient de plus en plus important de se réaliser au niveau professionnel. Les métiers du New Age sont donc valorisés, puisqu’ils sont les plus aptes à intégrer une dimension spirituelle. Dans le même temps, le succès économique n’est pas à proscrire non plus. Pour les praticiens, il représente le signe d’une réussite sur tous les plans, au niveau professionnel, social (car ces métiers comportent tous une dimension relationnelle) et spirituel (c’est le signe d’une justesse spirituelle).

Notes
516.

D. Hervieu-Léger, La Religion en miettes, pp. 95-96.

517.

M. Brown, The channeling zone, pp. 7-8.