Une substitution s’effectue petit à petit du psychologique au religieux. En effet, aux Etats-Unis, psychanalyse et psychologie revêtent une importance capitale dans la vie quotidienne d’une grande partie de la population, sans que cela entraîne de connotation négative. Aller voir un « psy » ne signifie pas que l’on est un malade psychiatrique.
Cette tendance est récupérée et exploitée, en particulier par les Mouvements du Potentiel Humain, qui jouent sur la limite – floue – entre salut de l’âme et soin psychologique. Souvent, l’aspect religieux est totalement passé sous silence, parfois même le spirituel n’est pas mentionné. Les seuls éléments qui permettent d’affirmer que ces mouvements se situent sur un plan spirituel sont :
- le fait que chacun présente une vision du monde et du sens de la vie sur terre,
- les membres des Mouvements du Potentiel Humain sont les mêmes que ceux des mouvements d’inspiration orientale, la circulation entre les deux types de mouvements est extrêmement fluide.
Cependant, si l’un des principaux rôles des religions était autrefois d’expliquer la mort, omniprésente à tous les âges, et de familiariser avec le passage dans l’au-delà, aujourd’hui la mort est plus cachée et plus tardive (l’espérance de vie augmente). La centralité de cette préoccupation s’est transférée sur le « mal-être », ou malaise, surtout pour la population d’un pays industrialisé et riche comme les Etats-Unis. J. Vernette note à ce sujet :
‘[…] l’une des maladies typiques de nos sociétés est le mal d’être. On est mal à l’aise dans sa peau ou dans son esprit, dans sa famille ou dans sa profession. D’où la floraison actuelle de multiples groupes proposant une psychothérapie par la voie du corps. 523 ’Les Mouvements du Potentiel Humain se différencient soigneusement de la médecine conventionnelle, et en ce qu’ils prétendent apporter « une autre dimension » et tendent à soigner le spirituel. Ils revendiquent leur nouveauté et une rupture par rapport aux médecines classiques, dans une dynamique qui relève du New Age, en ce qu’elle se fonde sur une conception holistique de l’homme.
Il reste cependant que l’ensemble de ces mouvements fournit plus des « moyens » (meilleure santé, relations, efficacité dans le travail) que des « raisons » (explication du sens de la vie). Cette caractéristique, constatée dans tous les groupes du Potentiel Humain, fait douter de leur portée religieuse :
‘Elle est considérée comme un « plus », ajouté aux moyens de vivre dont est déjà sursaturé l’Occidental, alors que dans la pensée de ses initiateurs elle devait fournir des raisons de vivre. 524 ’Cet aspect utilitariste de la nouvelle spiritualité se manifeste aussi à un autre niveau : la tradition religieuse est si fortement implantée aux Etats-Unis que l’on imagine difficilement vivre sans religion. Ainsi, un certain nombre d’Américains acceptent la conception sociologique que « l’homme est un animal religieux ». Le traumatisme que beaucoup expérimentent lorsqu’ils quittent, parfois brutalement, la religion de leurs parents, est considéré comme universel et insurmontable, la religion comme un élément indispensable à l’équilibre psychologique de tout un chacun. Ainsi, Peggy a élevé sa fille Bonnie hors de tout système religieux, et considère que l’investissement actuel de Bonnie dans une Eglise n’est qu’une compensation naturelle 525 .
Il semble approprié de parler de sécularisation, puisqu’à l’origine, la sécularisation désigne une prolifération du laïque dans la société, où le religieux cède petit à petit la place. En ce sens, la sécularisation est un phénomène d’envergure mondiale particulièrement bien illustré aux Etats-Unis. Les laïcs occupent une place de plus en plus importante au sein de la nouvelle spiritualité, la médiation du clergé étant dévalorisée au profit d’une expérience directe et immédiate avec le divin 526 . J. Beckford remarque que cette tendance se développe à l’échelle planétaire :
‘Second, and closely related to the question of specificity, is the tendency for new religious movements to allow lay people to participate more fully in their activities than is common in many older religious organizations. 527 ’La différence très nette que l’on peut faire entre le New Age et les formes de religion traditionnelles en Occident, s’exprime selon deux processus de substitution : le spirituel d’une part, et le thérapeutique d’autre part, viennent en quelque sorte remplacer la religion.
J. Vernette, Le New Age, Que-Sais-Je ?, p. 71.
Ibid., pp. 113-114.
Entretien avec Peggy, 26-04-2000.
Ce processus est d’ailleurs présent dès la Réforme, que M. Gauchet qualifie de « prime illustration » du tournant moderne qui est l’aboutissement du « désenchantement du monde ». M. Gauchet, Le Désenchantement du monde, p. 221.
J. Beckford, New Religious Movements and Rapid Social Change, p. xiv.