Lien entre féminisme et implication politique

Si l’implication des « acteurs » varie, elle ne le fait pas de manière erratique et imprévisible, mais selon des schémas identifiables. Par exemple, certaines régions sont notablement plus politisées que d’autres, conséquence d’une culture universitaire et d’une éducation politique. C’est le cas notamment de la Californie du Nord (avec l’influence d’universités comme celle de Berkeley) et de Washington, DC. De même, certaines traditions découragent l’action politique (les religions orientales prônent plutôt une intériorisation), alors que d’autres la favorisent plus ou moins explicitement. Les groupes néo-païens, le mouvement éco-féministe, et toutes les spiritualités gay et lesbiennes sont d’emblée proches de l’action politique, souvent parce que leur origine même est de nature socio-politique. Les minorités considèrent que les questions de fierté ethnique, de revendication de leur identité (« gay pride » par exemple), passent par la recherche d’une religiosité à leur mesure, moins oppressive, sexiste, dominatrice ou impérialiste. Religion et politique ne sont que deux facettes d’un même combat.

N. Finley étudie l’activisme politique au sein de la spiritualité féministe dans son article « Political Activism and Feminist Spirituality ». Dans un sondage effectué auprès de 35 participants du mouvement Dianic Wicca*, N. Finley établit que la spiritualité féministe stimule l’activisme politique dans 66% des cas, et n’a l’effet inverse pour aucune des personnes interrogées. Elle relie l’aspect social et politique du mouvement aux démarches plus personnelles de recherche d’une théologie plus égalitaire :

‘The Goddess aspect of Neo-Paganism was obviously attractive to modern feminists who discovered in their struggle for liberation that the existing organized religious systems had been the justification for their oppression. Rationalizations for the blockage of much of the women’s agenda, such as abortion, work roles, and so on, frequently came from religious arguments. As the religious components became harder to ignore, some women chose to challenge those interpretations by reforming the church. Others felt that reform of the Christian or Jewish patriarchal religions was too slow, or else they were simply alienated by the imagery of these religions (Goldenberg, 1979). New inventive alternatives arose. Assisted by newly uncovered historical and prehistorical cultural symbolism of feminist art, music, literature, history, and the like, these radical feminist religions blossomed into an entity of their own. 528

Si la théorie principale veut que la politisation survienne essentiellement d’une « privation », situation difficile, crise, etc., dans le cas présent l’inverse se produit : la position oppressée des femmes dans la société américaine d’avant les années 1960 entraîne un manque de confiance en soi, de foi en la possibilité du changement. L’optimisme retrouvé grâce à l’acquisition de pouvoir procuré par le New Age, permet à ces femmes de développer une capacité d’activisme politique, et dans le même temps un intérêt pour la chose politique. Ce schéma est également applicable pour d’autres minorités (homosexuels, populations indigènes). N. Finley énumère les conditions pour une telle influence positive du spirituel sur le politique :

‘[…] the following conditions should be present for participation in NRMs to promote change-oriented political activism: (1) The spiritual belief system has an ideological component that increases efficacy. (2) Believers are predominantly in a group that is relatively subordinate in the social system so that increased efficacy challenges the legitimacy of the system. If these conditions are present, it is possible to envision how a religious system based on “transformation of self” can advance political action. It is this combination of ideological variables and social position that makes Neo-Pagan, feminist spirituality noteworthy. 529

Le New Age comporte en germe deux tendances contradictoires : il encourage le sentiment de responsabilité dans le monde, de divinité intérieure, et d’efficacité personnelle (et donc la possibilité d’une action efficace) ; et il suscite une forme de fatalisme, d’échec nécessaire et prédéterminé de toute forme d’action. La distinction de R. Wallis entre mouvements de type « world-rejecting » et « world-affirming » nous permet également de prédire la relation d’un groupe au politique. En effet, les Nouveaux Mouvements Religieux de type « world-rejecting » ne peuvent ni ne veulent proposer de solution politique. Leur conflit avec le monde tel qu’il est, leur besoin de pureté, les amène à refuser toute action (participer au processus démocratique, aux élections, aux manifestations, aux transactions politiques et financières), et à refuser de se compromettre en participant à la vie sociale pour la transformer. Les mouvements de type « world-affirming » constituent en revanche des religions « alternatives », dans le sens où ils proposent une organisation de la réalité différente de celle proposée par le système.

Les acteurs du New Age constituent la population la plus instruite et la plus expressive du New Age. C’est seulement à ce niveau d’investissement que la vision du monde de la spiritualité alternative constitue une véritable grille de lecture du monde. Le New Age ne constitue plus un apport extérieur à une religiosité déjà établie, il devient central. A ce titre, pour ce « type » de New Age, on peut considérer que le mouvement assume la fonction d’une religion, re-composée pour s’adapter au système de valeurs et répondre aux besoins des New Agers.

L’outil méthodologique que constitue le découpage du New Age en trois niveaux nous permet ainsi de résoudre un certain nombre d’ambiguïtés du mouvement. Si l’étude du New Age est aussi difficile, c’est que les participants, la structure, et le contenu, sont en réalité répartis en trois degrés. Ce n’est que s’il est perçu analytiquement mais dans la globalité des trois niveaux que le New Age fait sens, et bien souvent, les analyses réductrices des chercheurs ne considèrent qu’un des aspects de ce phénomène.

Notes
528.

N. Finley, “Political Activism and Feminist Spirituality”, p. 354.

529.

Ibid., p. 353.