2. Rôle d’Etat pionnier : les raisons d’un mythe

Nous allons tout d’abord étudier les réalités qui sont à la source de la vision de la Californie comme « laboratoire du New Age », réalités d’ordre historiques, géographiques, économiques, scientifiques et culturelles.

Dès la fin du XIXème et le début du XXème siècle, les mouvements Penser Nouveau (« New Thought »), Théosophique, et de Science Chrétienne se sont implantés avec un succès certain en Californie du Sud. Le mouvement théosophique crée une communauté à Point Loma, qui comptera jusqu’à 500 résidents en 1910. Son influence dépasse cependant les limitations numériques, car la communauté propose des activités culturelles dont le rayonnement bénéficie à l’ensemble de San Diego. Les habitants de la ville acceptent bien la présence du mouvement, et se familiarisent peu à peu avec ses concepts, comme le souligne S. Frankiel :

‘Theosophy's belief in the spiritual unity of mankind and the oneness of all beings and all religious wis­dom, and its humanitarianism combined with mystical thought, be­came part of the popular religious currency of the region. 544

La Science Chrétienne rencontre également un certain succès et, au début du XXème siècle propose une véritable alternative à la médecine traditionnelle. Le recrutement au sein des classes moyennes et supérieures contribue à la respectabilité du mouvement. Sans surprises, le Penser Nouveau reçoit un accueil comparable, en sorte que la religiosité alternative devient une véritable tradition en Californie du Sud. S. Frankiel estime qu’en 1906, les confessions anglo-protestantes comptent environ 25000 membres, alors que la religiosité alternative fait état de 3000 membres et d’autant de recrues potentielles, représentant ainsi une réelle menace pour les églises traditionnelles.

Les mouvements orientaux s’épanouissent également, et une sorte d’effervescence spirituelle se maintient autour de personnes comme Krisnamurti (qui s’installe à Ojai, petite ville dans les montagnes au nord est de Los Angeles) ou de mouvements comme le Self-Realization Fellowship* (qui implante son siège à Encinitas, sur la côte au nord de San Diego, en 1925). Si dans les années 1930, 1940 et 1950 de tels mouvements font moins parler d’eux dans les contextes de dépression économique, de Guerre Mondiale et de guerre froide, ils n’en disparaissent pas pour autant. Sur ce terreau fertile, la contreculture des années 1960 rencontre en Californie un réel succès.

Au niveau géographique, les ressources naturelles de la Californie et ses paysages grandioses acquièrent de plus en plus d’importance, notamment avec le courant Transcendantaliste du XIXème siècle, qui se fait sentir jusque dans l’Ouest. La rhétorique romantique de la nature se développe. En Californie, il s’agit d’un réel « gospel of unity », qui provient également d’une volonté unificatrice et identitaire. L’Etat est identifié à une forme de religiosité mystique basée sur la communion avec la nature (John Muir). Les parcs nationaux, tels Yosemite, Séquoia et Joshua Tree, contribuent à une perception de la Californie marquée par les forces de la nature. Les Amérindiens sont également intégrés dans cette vision romantique qui associe nature sauvage (« wilderness ») et spiritualité 545 .

Au niveau économique, la richesse proverbiale de l’Etat facilite l’implantation d’une spiritualité mystique. S’investir dans le mouvement New Age (au-delà du mode des utilisateurs) implique d’avoir un certain niveau de vie et des moyens financiers. En effet, le prix des stages exerce souvent une discrimination effective, et la Californie comporte une population qui a les moyens d’expérimenter avec le New Age-pratique ou -produit, même dans ses manifestations les plus onéreuses.

On remarque à ce sujet qu’un certain nombre de « centres » désireux d’attirer une clientèle fortunée se sont établis en Californie du Sud. Dès le début du XXème siècle, les Nouveaux Mouvements Religieux qui prospèrent dans la région sont plutôt orientés vers une clientèle aisée. La plupart des centres créés récemment ciblent le même type de public : c’est le cas par exemple du « Chopra Center for Well-Being » ou de « Life Mission Associates ». Certes, lorsque l’on envisage de fournir des services sous forme de stage, le lieu n’importe que dans la mesure où il doit se trouver à proximité d’un aéroport et dans un environnement agréable, voire attractif. Cependant, les instituts proposent généralement des formules sur une journée, et des cours hebdomadaires ou mensuels, 546 qui s’adressent donc à une population locale. Les haut-lieux du New Age en Californie du Sud sont pléthore : Ojai, Santa Barbara, San Diego (avec Encinitas, Point Loma, La Jolla), Los Angeles.

Au-delà du niveau financier, les chercheurs spirituels de la « nouvelle conscience » ont également besoin de disposer de plus de temps, afin de pouvoir participer à des stages, mais aussi méditer une heure par jour, se cuisiner des plats végétariens ou macrobiotiques*, consulter leurs tarots avant d’entreprendre toute action importante. Cela explique en partie que le troisième âge soit de plus en plus présent dans les groupes New Age. La Californie, en plus d’être l’Etat le plus riche des Etats-Unis, est aussi un endroit où « il fait bon vivre », et une grande partie des Californiens du Sud commencent le travail tôt, afin de pouvoir se libérer vers 16h, et d’avoir du temps avec leur famille et pour leurs loisirs. Pour des personnes qui éprouvent un sentiment de réussite sociale, la religion peut se présenter comme un nouveau territoire à conquérir, ou, dans un vocabulaire New Age, « un nouvel espace de croissance ».

La notion de richesse dans ce qu’on appelle « The Golden State » est mythique, et propice aux mythes américains du « self-made-man » ou de l’égalité des chances, qui sont plus développés ici qu’ailleurs. En effet, l’idée que n’importe qui, pour peu qu’il travaille, peut devenir millionnaire, est souvent profondément ancrée dans l’esprit des immigrants. Or, la réalité, même en Californie, n’est pas toujours à la hauteur. C’est ici qu’interviennent les Nouveaux Mouvements Religieux, permettant à une population d’immigrants qui ne trouvent pas la réalisation de leur rêves dans le travail, de se réaliser dans leur vie spirituelle. Une partie de la population américaine a en effet le sentiment que le rêve américain a échoué et ne pourra se réaliser au niveau matériel, car, tout comme la frontière, il a atteint ses limites physiques. Ceux-ci ils transfèrent donc leurs attentes et espoirs au niveau spirituel.

Notes
544.

S. S. Frankiel, California's Spiritual Frontiers, p. 64.

545.

S. Frankiel, California’s Spiritual Frontiers, p. 64.

546.

Voir le site Internet : http://lifemissionassociates.com/ .