Libéralisme, permissivité, et libéralisation des mœurs

Le discours du New Age associe à la Californie des attributs de libéralisme, de tolérance et de permissivité. En cela, c’est le lieu désigné de toutes les innovations, notamment culturelles. Pour les New Agers, c’est le lieu de tous les possibles :

‘If America is free, California is freer. If America is open to innovation, innovation is California’s middle name. California is not so much different from the rest of the country as it is more so […]. California is a preview of our paradigm shifts as well as our fads and fashions. 554

Cet Etat a historiquement représenté et condensé le concept de l’Amérique en tant que « land of opportunity ». A sa place géographique, son climat, sa richesse, et la présence de nombreuses activités de pointe, s’ajoute la réputation de tolérance 555 de la part de la population. La majorité des participants de la nouvelle conscience interviewés y souscrivent, et citent l’ouverture d’esprit et le libéralisme comme des facteurs facilitants. M. Ferguson conclut son chapitre sur la Californie en ces termes :

‘It makes sense that the Aquarian Conspiracy would be most evident in a pluralistic environment friendly to change and experimentation, among people whose relative wealth has given the opportunity to become disenchanted with the materialist dream in its most hedonist form, with few traditions to overturn, tolerance of dissent, an atmosphere of experimentation and innovation, and a long history of interest in Eastern philosophies and altered states of consciousness. 556

Cette dernière remarque fait référence au succès rencontré ici par le mouvement contreculturel qui, en libéralisant les mœurs, a fait de la tolérance un véritable principe idéologique. L’implantation d’Hollywood contribue également à ce climat de liberté morale. La spiritualité alternative a reçu un certain soutien de la part des stars de cinéma, qui financent, prêtent leur célébrité, et parfois même leurs avocats à l’un ou l’autre des mouvements. La Scientologie*, mouvement marginal au New Age, bénéficie de l’image de Tom Cruise ou de John Travolta ; l’ISKCON (adeptes de Krishna) a été propulsé sur la scène médiatique par la publicité faite par les Beatles. L’actrice Shirley MacLaine, un des auteurs à succès du New Age, contribue à associer une aura de « glamour », et les notions de célébrité, de richesse, de beauté au New Age californien. Ces pratiques culturelles très médiatisées ne doivent pourtant pas faire oublier le poids (économique et surtout politique) d’une partie de la population conservatrice, certes beaucoup moins visible, mais néanmoins détentrice de pouvoir. En cela, la réputation de tolérance des Californiens n’est peut-être que superficielle, et les innovations culturelles y sont peut-être moins bien reçues qu’il n’y paraît.

Enfin, l’ouverture des frontières aux immigrants (asiatiques notamment) dans les années 1960 permettent aux mouvements d’inspiration orientale de trouver une expression plus concrète grâce à l’enseignement direct de « sages » et de « gourous », comme le note J. G. Melton :

‘The flowering of cults in the last two decades is best seen as the convergence and maturation of several trends which had been developing in North America for many decades. Unleashed by the demise of Asian immigration restrictions, these trends flowed into a new permissive environment. Without the many years of effort by members of alternative religions prior to 1965 and the development of the culture to receive the Eastern gospel, there would have been little response to the Eastern teachers when they finally did arrive. 557

Pour le New Age, le flux d’immigrants représente une preuve de plus de cette ouverture d’esprit. La Californie, Etat le plus attractif d’un pays idéalisé, en retire une certaine légitimité, puisqu’elle devient représentative de toutes les nationalités qui y cohabitent :

‘Boorstin once described the United States as a Nation of Nations, so shaped by the visions of its immigrants that it is international. Similarly, California is enriched by a diversity of cultures, influenced by an Asian and European influx, a junction of East and West, frontier for immigrants from the American East, South, and Midwest. More than half its inhabitants were born elsewhere. 558

Au niveau pratique, cet influx d’immigrants résulte cependant en une urbanisation accrue, avec la ville de Los Angeles qui représente l’un des paroxysmes de l’agglomération américaine : délinquance, ghettos, peurs, nombrilisme… La mixité ethnique se traduit ici plus selon le schéma du « salad bowl », les différentes communautés cohabitent sans se mélanger. La taille de la mégapole génère le sentiment exaltant que tout est à portée de main, mais les réalités quotidiennes (des transports urbains par exemple) régissent avant tout les rapports entre habitants. La réalité de l’immigration n’est donc pas le métissage culturel tant idéalisé mais plutôt une réaction à l’urbanisation régie par la peur, et une organisation pratique régie par la logique de proximité. Ces deux influences provoquent des attitudes de renfermement sur la communauté, le quartier, qui rassemble co-religionnaires et compatriotes.

Notes
554.

Ibid., p. 132.

555.

L’image de l’Etat, dans les termes de P. Lagayette, comme « une Californie ouverte sur l’inconnu, où l’ingéniosité, l’audace et l’ardeur humaines trouvent d’incessantes occasions de s’exprimer » (Californie, p. 114), ne reflète qu’une moitié de la réalité, dans la mesure où les habitants se montrent autant réactionnaires que progressistes. C’est cependant l’aspect d’ouverture qui est le plus présent dans la représentation New Age de la Californie.

556.

M. Ferguson, The Aquarian Conspiracy, p. 136.

557.

G. Melton, The Encyclopedic Handbook of Cults in America, p. 11.

558.

M. Ferguson, The Aquarian Conspiracy, p. 134.