La Californie n’est pas l’Etat New Age en terme de pourcentage de la population, ni historiquement, ni selon les théoriciens du New Age. La réputation de la Californie de premier Etat du New Age s’avère donc quelque peu surfaite. Pour les New Agers « puristes » ou les géographes de la tellurique (énergétique terrestre), la Californie n’est pas l’endroit des Etats-Unis le plus puissant en terme d’énergie (« power spot »). Comme l’affirment grand nombre de sites web, le sud ouest des Etats-Unis en général et l’Arizona en particulier sont de véritables points névralgiques de la Terre 565 , l’équivalent planétaire des points d’acupuncture et des chakras*.
Ensuite, le foisonnement apparent de pratiques New Age est à relativiser, d’une part au vu de la densité de la population, et d’autre part au regard des grandes portions conservatrices et fondamentalistes de la population. L’extravagance de Venice Beach et de Haight-Ashbury ne peuvent éclipser les majorités silencieuses et conservatrices d’Orange County ou de Rancho Santa Fe, détentrices du pouvoir politique. Même lorsqu’il semble omniprésent, le New Age est un mouvement marginal, qui se définit en opposition à une norme.
L’origine du New Age est également sujette à construction mythologique. En effet, ce mouvement est apparu simultanément (dans les années 1960) dans deux foyers : l’un au Nord de l’Ecosse, dans la communauté de Findhorn, qui s’est construit dans la lignée du mouvement Théosophique, l’autre au sud de San Francisco, à l’institut d’Esalen autour de personnalités telles que A. Maslow*, Carl Rodgers, et Allan Watts. La parenté du mouvement est donc double, et les penseurs du New Age s’inspirent tout autant de la lignée européenne qu’américaine. Cependant, la plupart des ouvrages américains (sources primaires comme sources secondaires) ne citent que la Californie comme berceau du New Age (cf. The Aquarian Conspiracy 566 , mais aussi dans grand nombre de publications sur le sujet). Il y a donc là une forme de régionalisme (et de patriotisme), complétée par l’ignorance du public, qui donne à la Californie un rôle unique et premier, conclusion mythologique d’un ensemble de facteurs mythologiques.
De tous les facteurs qui expliquent l’implantation du New Age en Californie, les plus convaincants ne sont pas ceux avancés par le mouvement. La proximité de l’autoroute, et le prix des loyers, jouent un rôle plus important que la présence amérindienne par exemple. La plupart des réserves indiennes abritent des casinos, des sites de stockage de déchets nucléaires, plutôt que des centres de spiritualité alternative ; les retraites et stages se dirigent plutôt vers des lieux pittoresques ou grandioses… L’implantation relativement importante du New Age est au moins autant liée à l’anomie que l’on constate (conséquence entre autres des schémas de migration, et de la modernité technologique et scientifique de l’Etat) qu’aux traditions de tolérance et de libéralisme.
Le mouvement New Age est traversé de lignes de fracture socio-démographiques. San Diego, à l’image de la Californie en général, est une ville plurielle mais peu “intégrée”, qui comporte une Silicon Valley, un quartier étudiant, un quartier alternatif, un quartier homosexuel, un quartier conservateur, etc.
La parenté entre le mouvement New Age et la Californie, dans la mesure où elle existe, souligne le fait que le New Age semble donc bien reproduire un « modèle dominant », jusque dans ses variantes. La relation du New Age au territoire américain est donc complexe. Tout d’abord les New Agers identifient le territoire des Etats-Unis comme le berceau et l’épicentre du mouvement, tout comme ils adoptent les valeurs de l’américanité, jusqu’à faire du New Age un instrument de perpétuation des inégalités présentes dans la société américaine. Ensuite, l’espace américain est découpé selon une cartographie imaginaire qui valorise certains endroits et ignore d’autres en fonction de la présence de traces de civilisations pré-colombiennes ou d’éléments géologiques qui concentrent l’énergie. Enfin l’implantation du New Age s’effectue selon une cartographie décalée, fonction de facteurs culturels, sociaux, et politiques.
L’importance relative d’un lieu par rapport à un autre est fonction d’un ensemble de facteurs (beauté de l’environnement, traces de civilisations primitives, etc.) décrits plus haut, cf. supra, Chapitre VI. B. 1.
M. Ferguson, The Aquarian Conspiracy, p. 60.