Le passé comme obstacle

Ainsi, les forces historiques constituent le principal obstacle à l’évolution naturelle et souhaitable de l’homme. Elles sont associées à l’ignorance et l’obscurantisme, à la peur de l’avenir qui se cristallise dans un attachement aveugle aux traditions (ces dernières étant considérées comme la manifestation par excellence des forces du passé). La peur et le manque de vision sont à l’œuvre en chacun (les ennemis intérieurs que sont l’ego, ignorant sa place dans le cosmos, et la lâcheté face à l’ampleur de la tâche), mais aussi dans le monde. Les New Agers adoptent parfois une vision du monde manichéenne, où les forces du passé et du mal visent à maintenir l’homme dans l’ignorance, par le biais de complots obscurantistes et rétrogrades. Selon certains auteurs (et dans la perception populaire), ces forces maléfiques peuvent s’incarner dans des institutions sociales comme l’Etat ou les partis politiques, aveugles à l’inutilité et aux dangers d’un sectarisme qui impose des frontières arbitraires à l’humain, ou dans des complots qui associent des intérêts aussi variés que des formes de vie extra-terrestre hostiles et l’Ante-Christ….

Face à l’ampleur de la menace, tout est remis en question. L’autorité provenant de la tradition est niée, la seule autorité acceptée étant expérimentale, intérieure, et personnelle. La tradition, qu’elle soit religieuse (par le biais de textes sacrés et de transmission dogmatique), historique, ou sociale, est perçue comme source d’obscurantisme qui empêche l’illumination, qui maintient les hommes dans l’ « Age Sombre » (« Dark Ages », qui réfère souvent au Moyen Age, période d’immobilisme). Par exemple, dans The Celestine Prophecy, l’influence continue de l’Eglise catholique empêcherait la propagation du manuscrit et la révélation de la prophétie. Le New Age consiste en un enseignement exigeant, complexe et optimiste ; la peur et l’attraction de la simplicité œuvrent pour un retour en arrière, soutient M. Ferguson :

‘Someone is always trying to summon us back to a dead allegiance: Back to God, the simple-minded religion of an earlier day. “Back to the basics,” simple-minded education. Back to simple-minded patriotism. And now we are being called back to a simple-minded “rationality” contradicted by personal experience and frontier science. 601

Ainsi, pour se libérer de l’emprise du passé il faut remettre en question chaque acquis, examiner les croyances au filtre de l’intuition personnelle (et cela implique par exemple de mettre en doute la notion de « sagesse des anciens », pourtant défendue par le New Age pré-moderne »). Selon Margaret, le propos de la « nouvelle spiritualité » est : « break through all the old constant heaviness of old belief system. » 602 Dans cette démarche de déconstruction de la tradition, certains vont plus loin, identifiant la croyance comme unité, ou atome de tradition. Ils en viennent donc à remettre en question toutes les croyances.

‘Certainly, it appears that the New Age is quite radically de‑traditionalised. It rejects established traditions (Christian Commandments, for example) but also those ‘mini‑traditions’ known as ‘beliefs’. It claims that even those who appear to speak with wisdom should not be heeded: unless, that is, their utterances have been tested by way of personal experience. 603

Une fois encore, l’expérience personnelle est l’ultime validation, qui seule peut sauver – et donc il s’agit de recomposer – les bases conceptuelles d’une action. En effet, la dissolution de toute croyance pose un problème quotidien : quels vont être les moteurs de l’action ? Face à l’urgence de l’implication dans le monde, deux attitudes émergent. D’une part, un relativisme total qui accepte comme valides toutes les traditions, toutes les croyances, des plus anciennes aux plus récentes, des plus répandues au fruit de l’imagination singulière. Cet absolu relativiste pose toutefois un problème : celui de la légitimité des traditions intolérantes, dogmatiques, et exclusives. D’autre part, les croyances issues du passé et l’autorité des traditions sont supplantées par l’autorité immédiate et intérieure, qui s’exprime plus ou moins directement (esprits guides, channeling, anges gardiens, intuitions, imagination, etc.). Le paradoxe de ce mode de connaissance réside dans son autorité totale et incontestable : la vérité pour l’individu devient absolue, « authentique » au point qu’il est inutile d’en parler ; et peut justifier n’importe quelle éthique, même la plus complaisante.

Enfin, cette logique de révélation permet également parfois de nouvelles formes d’enseignements dogmatiques, sous couvert de scientisme (comme au sein de l’Eglise de Scientologie* ou du Mouvement Raélien, mais aussi de beaucoup de petits mouvements moins spectaculaires).

Au sein du combat qui oppose forces du passé et des traditions à l’avènement du New Age, les New Agers identifient également un certain nombre d’outils et d’alliés. Tout d’abord l’aide apportée par les enseignements des Maîtres Spirituels (« Enlightened Masters » ou « Ascended Masters »), entités intemporelles puisqu’elles peuvent aussi bien provenir du futur, d’autres espaces-temps (galaxies lointaines ou inconscient collectif), que du passé historique. Certaines matérialisations de ces maîtres ont d’ailleurs acquis notoriété, comme Zarathoustra, Jésus Christ, Bouddha ou Mahomet (plus récemment, des channels comme Edgar Cayce, ou l’entité Seth channelée par différentes personnes dans le monde, sont des relais des mêmes Maîtres). Leur mode de manifestation est le garant de l’authenticité, puisqu’ils se servent de la transmission directe par le biais du channeling* et de l’incarnation. D’autres outils au service du New Age sont : l’interprétation des coïncidences, l’énergie universelle et immatérielle que l’on trouve dans les cristaux ; l’aide extérieure apportée par la vie extra-terrestre ; les avancées de la science dans certains domaines (physique quantique*, théorie de la relativité, sciences du cerveau par exemple).

La visualisation créative constitue également un outil puissant d’invocation du New Age. La foi en l’utopie constitue en effet, dans cette philosophie où chacun « crée sa propre réalité », une condition sine qua non de sa réalisation. C’est d’ailleurs le principe fondateur de la théorie de la « masse critique » : lorsqu’une minorité signifiante de l’humanité se sera ouverte aux enseignements du New Age et à la possibilité de sa concrétisation, l’ensemble de la population mondiale basculera dans cette nouvelle ère. Afin de rendre à la fois tangible et concrète la réalité à venir, il faut la représenter et l’imaginer. Cette logique confère une nouvelle importance et légitimité à la science-fiction : il ne s’agit plus seulement du fruit d’une imagination fertile, mais également d’une contribution importante à la construction du futur idéal. Représentations textuelles, mais aussi graphiques et sonores, peuplent donc le New Age. Patrick et Deidre, par exemple, sont parmi les producteurs d’images de l’utopie. Au niveau textuel, les œuvres de R. Hubbard sont des exemples du genre. L’utopie se double parfois de messianisme, lorsque est mis en avant le rôle déclencheur d’une nouvelle incarnation des « Maîtres Spirituels », ou du Christ. Cependant, dans le New Age à la différence des mouvements messianiques classiques, la venue du Messie n’est perçue que comme élément déclencheur d’un basculement des sensibilités déjà en germe.

Dans cette perception d’un combat qui se livre entre forces de l’avenir, du Nouvel Age d’une part, et forces du passé, de la tradition d’autre part, les appréciations de l’équilibre des forces en présence varient de l’optimisme infaillible (rien n’arrêtera le Progrès de l’Homme déjà en marche) au pessimisme le plus noir (le destin glorieux de l’homme est déjà la proie des forces obscurantistes).

Notes
601.

M. Ferguson, The Aqurian Conspiracy, p. 128.

602.

Entretien avec Margaret (12-02-2002).

603.

P. Heelas, “De‑traditionalisation of Religion and Self”, p. 68.