Matérialisme et vision utilitariste de la religion

Le New Age est parfois l’expression d’une forme de matérialisme, à la fois désabusé quant à l’importance réelle de la religion sur le monde, et faisant le choix semi-conscient de continuer à s’illusionner, à « y croire ». Parmi les théories sociologiques fonctionnalistes de la place du religieux au sein de la modernité, certaines rencontrent du succès auprès des participants de la nouvelle conscience. Une perception teintée de fonctionnalisme présente la religion comme dépassée, une survivance du passé qui constitue plus un obstacle qu’autre chose pour le progrès, mais qui n’en conserve pas moins un rôle d’intégration sociale. Plus radicalement, la vision marxiste apparente la religion, tout comme les institutions sur lesquelles elle s’appuie, à de véritables obstacles à la libération de l’homme. Ces deux interprétations font de la religion une réponse offerte aux esprits faibles face à des conditions sociales difficiles. Selon la vision fonctionnaliste de la religion, pour parvenir à se libérer, l’homme doit cesser de s’illusionner dans la spiritualité pour s’attaquer enfin aux racines de ses problèmes. Le New Age, sans aller aussi loin, voit parfois la spiritualité comme une « illusion nécessaire », la part du rêve et de l’optimisme dans un monde qui en est, par ailleurs, dépourvu.

Le raisonnement dans le New Age utilitariste est le suivant : si, selon la théorie de la sécularisation, la persistance de la religion est le signe de l’inaptitude de l’homme à faire face à l’absence du sacré, au dénuement du matérialisme et à la vérité de notre mortalité, si cette survivance est nécessaire à notre équilibre psychologique, il s’agit alors de choisir une forme de religiosité qui soit la moins dangereuse possible pour nous-même et nos voisins, et qui ne fasse pas de victime. D’où une orientation vers des religions tolérantes, relativistes, universelles, non-dogmatiques, et qui privilégient l’aspect positif (« all light ») du cosmos, faisant ainsi l’économie de la culpabilité, du doute et de la souffrance.

Cette dévalorisation de la religion, qui n’est donc plus perçue en tant que force active et explicative dans le monde, mais dont la survivance est justifiée sur le plan psychologique (son influence est néanmoins restreinte), est d’ailleurs caractéristique du processus de sécularisation tel qu’il est à l’œuvre au XXème siècle aux Etats-Unis. L’adéquation entre modernisation et déclin de la religion n’est pas nécessaire, moins encore aux Etats-Unis (du fait du puritanisme) qu’en Europe, comme le précise D. Lyon :

‘[…] at least in the North Atlantic regions (if not elsewhere) evangelicalism has grown symbiotically with modernity. […] Under this banner [the notion of ‘God’s dominion’] was sought both continental compliance with the ways of God and economic mastery ‘from sea to sea’, by the same people. In this case religion and modernity are bound up with each other in ways that a simplistic analysis of ‘religion against modernity’ just could not capture. 606

Une vision intermédiaire, qui conserve à la spiritualité son pouvoir d’action dans le monde, considère la modernité et le progrès comme l’expression même d’une transcendance. Dans cette perspective, l’enjeu aujourd’hui est de parvenir à maintenir la marche du Progrès, et notamment de parvenir à une orientation juste de la science. Les limites de la science sont perçues comme quantitatives, mais aussi qualitatives. En effet, le défi contemporain ne serait plus l’augmentation exponentielle du nombre de découvertes, de la masse de connaissances, mais le caractère même de ces découvertes. Les New Agers qualifient la tendance actuelle vers les « sciences dures » (terme qui regroupe les recherches technologiques aussi bien que la recherche pure dans les mathématiques, la biologie, la physique, la chimie, etc.) de fuite en avant, qui permet de ne pas affronter l’échec du monde scientifique dans les pseudo-sciences que sont les « sciences psi », c’est-à-dire des pouvoirs transcendants de l’homme (télépathie, kinesthésie, téléportation, divination, etc.). Autre élément exclu – sur des bases justifiées – de la science contemporaine, tout ce qui relève des « X-files », les phénomènes extra-terrestres et qualifiés de paranormaux (esprits, fantômes, ectoplasmes,…).

L’évolution souhaitable, selon les New Agers, de la science est une redéfinition de ses objectifs et de son champ d’application ; son ouverture à d’autres perspectives doit lui permettre dans le même temps de se simplifier et de perdre sa toxicité pour l’homme et pour la planète, comme le décrivent de manière simpliste les auteurs de LLewellyn :

‘Many engineers and researchers agree that as advances in sophistication are made, machines become simpler instead of more complex. This is obviously the case with crystal devices, and mind/particle machines. They are in balance with universal laws and physics, being both sensible and practical. The fundamental application is balance and healing, whether applied to people, plants, animals, poisoned air, polluted foods, contaminated water, or our chemically and radioactively suffering Earth Mother. Total overall balance and healing is a top priority for many of us in this lifetime. 607

Il s’agit ainsi d’infuser de l’humain et du naturel, les notions d’harmonie et de respect au cœur de la recherche. Ceci se doit d’être d’autant plus facile que les évolutions récentes de la science attirent notre attention sur l’humilité du chercheur face à la magie et au mystère de la vie, aspects enchantés qui, loin de se résorber avec chaque découverte, vont au contraire croissant. Le monde scientifique sort en effet du positivisme simple et découvre des imbrications nouvelles.

Notes
606.

D. Lyon, “Religion and the Postmodern” p. 24.

607.

Llewellyn Editorial Staff, The Truth about Crystal Healing, p. 15.