Les phénomènes paranormaux, appelés aussi « psychiques », « ψ » (« psi* » terme plus générique utilisé dans le New Age), ou « parapsychologiques », rencontrent un grand succès dans la population américaine (cf. sondage Gallup 2001 résumé dans Tableau 2), et à plus forte raison dans le New Age. Si, selon ce même sondage, 50% des Américains affirment croire en l’ESP, 36% en la télépathie, 32% en la clairvoyance, et 25% en la réincarnation, au sein du New Age ces croyances sont très rarement (voire jamais) remises en doute. Le New Age - outil est la partie de ce mouvement qui exploite le plus les conséquences de ces nouvelles « vérités » – dans le New Age des consommateurs ou des acteurs, ces éléments sont mentionnés en passant (dans les ouvrages de référence, livres, discours, journaux et magazines) mais peu développés. L’ensemble des phénomènes parapsychologiques constitue par ailleurs un objet d’étude scientifique, la recherche universitaire dans ce domaine existe depuis la fin du XIXème siècle, et se penche principalement sur deux types de phénomènes :
- la psychokinésie, l’ensemble des interactions « anormales » entre esprit et matière ;
- les perceptions extra-sensorielles (ESP, Extra-Sensory Perception), qui comprennent la télépathie, la clairvoyance, et la précognition.
Dans le New Age et la religiosité populaire, les croyances suivantes sont associées à ce type de phénomènes :
- existence des fantômes, des esprits, des anges ;
- expériences hors du corps de deux ordres (Near Death Experiences, Out Of Body Experiences).
Pour le New Age, la parapsychologie offre la possibilité de faire le lien entre science et religion, puisqu’elle permet d’étudier les preuves scientifiques des pouvoirs de l’esprit, pouvoirs qui peuvent être la preuve de la survie de l’âme après la mort. Le terme « psi » met également l’accent sur le rapport entre le psychologique et le psychique, et dans le New Age la notion de pouvoir (magique ou spirituel, au sens de pouvoir de l’esprit) est justement à l’intersection des deux, comme nous l’avons vu précédemment. L’occulte et le scientifique se rejoignent dans l’étude des capacités insoupçonnées, et supposées illimitées, du cerveau-esprit :
‘The mind of man is a marvelous and complicated creation, possibly the least understood facet of the non-physical side of man. The mind is the non-physical counterpart of the brain. It resembles but exceeds the finest computer assembled by man, in that it has infinite capacity for efficient information storage and retrieval if programmed properly. The mind, however, has free will, creativity and feels emotion, things which immediately separate it from being just a computer. The scope of the mind is unlimited, and can travel through time and space in a split second. The mind can penetrate any barrier, and its memory banks survive the death of the physical body. The mind is immortal, and has the power of imagination. 614 ’Tout comme dans les sources primaires étudiées plus haut (cf. supra, même chapitre, B. 2., citation de D. Chopra), l’auteur s’appuie sur des vérités scientifiques peu contestées pour glisser vers des affirmations idéologiques et magiques, sans construire une argumentation de l’un à l’autre.
L’occulte, au sens premier, désigne ce qui est caché, et en cela intéresse la nouvelle conscience. En effet, la vocation du New Age de proposer une alternative non-conventionnelle au modèle dominant, commande un scepticisme, et une incrédulité a priori à l’égard des vérités généralement acceptées, relayées par les Eglises, le gouvernement, la science officielle ou la consommation de masse. Comme l’affirme le slogan de l’émission X-Files, « la vérité est ailleurs ». Les New Agers s’apparentent ainsi à une conspiration d’initiés, à laquelle prennent part des populations insoupçonnées : la croyance aux OVNIS serait, selon S. MacLaine, partagée par une majorité des habitants de la Cordillère des Andes. 615 De nombreux auteurs évoquent également l’ouverture aux mystères transcendants des populations vivant dans la proximité des pyramides, ou d’autres œuvres primitives (Stonehenge, l’île de Pâques, les dessins de pierre visibles uniquement du ciel, etc.).
Si l’existence du surnaturel est acceptée par une proportion importante de l’humanité, c’est également parce qu’elle permet de résoudre de nombreux problèmes :
Le monde de l’occulte constitue donc une véritable panacée, sans pour autant exiger un investissement trop important, une discipline spirituelle, ou un sacrifice de soi :
‘Another reason why many Americans consider these experiences to be especially meaningful is that such encounters are relatively fluid, personalized, ephemeral, and amorphous, all of which fits with the complex, homeless world in which spirituality is currently sought. These experiences also exhibit some of the traits associated with people who are “newly arrived” – what might be termed an arriviste quality that is symptomatic of an increasingly secular culture in which there are few safe places and little discipline for spiritual seeking. 616 ’D. J. Hess qualifie la vision du monde du New Age de « spiritualité sceptique ou scientificité crédule » (« skeptical spirituality or credulous scientificity »). 617 En effet, le New Age utilitariste en particulier semble tiraillé entre scepticisme et crédulité, spiritualité magique et scientisme. La popularité de la croyance aux anges illustre ce paradoxe.
Si cette présence angélique se manifeste principalement dans les périodes difficiles de la vie, voire des périodes de crise (comme c’est le cas pour plusieurs personnes interviewées, Susan, Carola, John Lee, Kestrel) elle témoigne de l’intensification du doute religieux (insécurité quant à l’existence de Dieu ou d’une transcendance, exacerbée par une insécurité émotionnelle ou affective). L’angélisme constitue une croyance « mineure », sorte de compromis entre la religion et l’athéisme, tout comme le New Age, en revendiquant sa « spiritualité », et rejetant l’appellation de « religion », se situe dans la demi-mesure.
De plus, les manifestations angéliques s’avèrent la plupart du temps répondre directement au sentiment d’insécurité. L’aspect effrayant de l’ange biblique messager de la colère divine est abandonné au profit d’attitudes complaisantes et réconfortantes, et de l’archétype de l’ « ange gardien ». Ce dernier est plus au service de l’individu qu’au service de la transcendance et apporte du réconfort, des réponses, ou des messages. Ces interventions du surnaturel prennent par la suite une signification particulière dans l’histoire de vie, et dans une dynamique personnelle ou intime. En conséquence, à l’aspect moralisateur d’une rencontre avec le divin, se substitue une relation filiale dont l’objectif est la « croissance » spirituelle de l’individu, seul autorisé à donner un sens à la rencontre. Le clergé et la religion institutionnelle sont en effet désinvestis de ce rôle traditionnel d’interprétation.
De tels événements sont par ailleurs hauts en couleurs, et la narration fait revivre des émotions de peur, d’émerveillement, de confiance. Ce type d’expérience s’inscrit dans une spiritualité d’aventuriers, dans une recherche d’émotions fortes. L’augmentation de l’intensité des expériences spirituelles correspond ainsi au déclin de la régularité et de la prégnance du sentiment religieux. Si, dans le New Age, la religion n’est plus présente pour décoder chaque situation de la vie, ses apparitions deviennent en contrepartie plus « spectaculaires » – même si la présence de la religion dans le quotidien n’est pas incompatible avec la force de ses manifestations. Une telle relation au divin n’exige pas de pratique quotidienne, de discipline religieuse, ou de sentiment de devoir. En cela, le New Age – et le New Age - outil en particulier – s’inscrit effectivement dans une dynamique univoque, centrée sur soi et parfois auto-complaisante. L’éviction des sentiments négatifs, de la notion de péché ou de culpabilité, est particulièrement évidente dans les manifestations angéliques : les anges ne demandent pas de comptes ni d’investissement dans la relation. Cette tendance participe de l’attitude utilitariste, du processus de mise à distance et à disposition de la religion, qui ne doit pas s’imposer aux moments inopportuns mais se manifester en cas de besoin.
Une telle dynamique est également en lien avec une forme d’exotisme : si la religion s’applique essentiellement au lointain, avec le développement de l’éco-tourisme, du voyage initiatique, et du pèlerinage, elle est plus discrète, voire absente, de la vie quotidienne.
Ainsi, le New Age des utilisateurs embrasse la modernité, en laquelle ils placent leurs espoirs d’un monde meilleur et d’un Homme nouveau. Dans cette vision utopique, la science-fiction est mobilisée, à la fois comme permettant d’imaginer et de concevoir les formes que prendra le Nouvel Age, et comme technique de visualisation favorisant son avènement. Les développements les plus audacieux de la science, la rationalité, et le Progrès, sont envisagés, permettant une évolution sans limites. Appliquées à l’humain, les possibilités d’évolution se matérialisent par le développement exponentiel des capacités du cerveau, dans le domaine du parapsychologique en particulier. Si le futur meilleur constitue le but à atteindre, un tel objectif ne peut être atteint qu’au prix d’une lutte contre les forces du passé et de l’obscurantisme. Cette dynamique correspond étroitement à la logique d’acquisition de pouvoir personnel, au goût pour l’occulte, et à la tentation de la théorie du complot qui caractérisent les utilisateurs du New Age.
F. W. McClain, The Truth about Past Life Regression, p. 25.
S. MacLaine, Out on a Limb, p. 259.
R. Wuthnow, After Heaven, pp. 115-116.
D. J. Hess, Science in the New Age, p. 3.